Je crois que les écrivains algériens contemporains ont quelque chose de plus que nos écrivains à nous! Peut-être la dureté de la situation qu’ont connues nos voisins durant les années quatre-vingt-dix y est pour beaucoup? Peut-être que les stigmates de la guerre d’indépendance ont-ils laissé des traces dans l’esprit et l’âme algériens? Peut-être que, tout simplement, ont-ils plus de talent?
Il est probable aussi que les écrivains algériens connaissent mieux leur pays, qu’ils partagent mieux avec leurs compatriotes leurs douleurs!
Il en va ainsi de Kamel DAOUD : journaliste et chroniqueur au “QUOTIDIEN D’ORAN“, il a publié en 2008 chez les éditions BARZAKH, un recueil de nouvelles intitulé “LA PRÉFACE DU NÈGRE”

Ces quatre nouvelles donnent une vue assez générale de ce que sont les algériens en ce début du XXIème siècle, de ce que sont leurs angoisses et leurs espoirs.
Dans la première nouvelle, intitulée “L’ami d’Athènes“, Kamel Daoud met en scène un coureur de fonds, qui au delà de la course qu’il gagne, court vers ses rêves et peut-être ses chimères!
C’est en lisant cette nouvelle que j’en suis venu à la comparaison entre les écrivains marocains et algériens. Le Maroc a connu durant ces dernières décennies des coureurs de fond et de demi-fond qui ont porté haut et loin le drapeau de notre pays. Ils sont tous partis de très loin pour atteindre les sommets de la gloire : de Aouita à EL Gourouj en passant par Sekkah et d’autres Boutayeb, aucun de ces héros n’a inspiré la moindre ligne à une plume marocaine connue. Et c’est bien dommage, il ne nous restera de ces géants que des images et des mots de journalistes, de mots qui s’effacent donc avec le temps.
Kamel Daoud a décrit de manière très réussie en mettant dans sa prose le souffle, l’effort et les cent et mille rêves que traversent l’esprit d’un coureur de fond lors d’une compétition : certaines de ses phrases sont tellement longues, tellement alambiquées, mais tellement ciselées, que l’on a l’impression en les lisant de participer effectivement à une course à ,pied, sans but et sans fin!
La seconde nouvelle aborde le cas d’un ancien militaire féru d’aviation qui vit une cruelle déception devant l’indifférence de ses compatriotes face à son invention. Dans “Gibrîl au kérozéne” finit par comprendre avec amertume que “un arabe est toujours plus célèbre lorsqu’il détourne un avion que quand il le fabrique”.
Le héros de la troisième nouvelle, “La préface du nègre”, qui a donné son titre au recueil est un écrivain qui va utiliser l’occasion de recueillir les souvenir d’un vieillard analphabète, acteur de la guerre de libération, pour tenter de raconter sa propre histoire. Kamal Daoud nous relate ainsi une espèce de hold-up intellectuel qui n’est en fait que la traduction de la schizophrénie qui règne dans l’esprit des algériens qui n’ont jamais connu la paix depuis des lustres.
Le sujet de cette nouvelle me rappelle certains aspects de la démarche qui a guidé Tahar Benjlloun, notre écrivain le plus connu à défaut d’être le meilleur, dans l’écriture de son opus “Une aveuglante absence de clarté”, récit romancé et détourné de la terrible expérience carcérale vécu par Aziz BINBINE.
Le dernier texte au titre énigmatique, “L’arabe et le vaste pays de Ô“, est le plus long de ce recueil : il en couvre pratiquement la moitié des pages.
Avec ses soixante-dix pages sur les 151 que compte le recueil, ce texte est plus qu’une simple nouvelle. D’ailleurs, s’agit-il bien d’une nouvelle dans le sens général admis pour ce genre littéraire? Ce serait bien plus une longue réflexion personnelle de Kamal Daoud sur la condition actuelle des arabes, sur leur place dans l’histoire, leur position face à la religion, le tout enrobé dans une très belle française, parfaitement maitrisée.
Essayez de vous procurer ce petit recueil : il vous réconciliera avec la littérature maghrébine – algérienne en l’occurrence – d’expression française.