Magazine Culture

La gommeuse et le gommeux, ceux du caf'conc, le dégommé, la gommeuse excentrique et la gommeuse épileptique.

Publié le 10 mai 2012 par Richard Le Menn

gommeuxchromo300lm Photographie 1 (à gauche) : Chromolithographie publicitaire, de la fin du XIXe siècle intitilée « Le petit gommeux ». Sa cravate est nouée comme aujourd'hui : c'est la nouvelle mode à cette époque et le début de cette manière !
Cet article fait suite à celui intitulé : Le gommeux.
Le nom de 'gommeux' viendrait de 'celui qui n'a pas été gommé' (dégommé), et qui est donc à la mode, dans le ton. Une estampe de Honoré Daumier (1808 - 1879) provenant de la revue Le Charivari (dans la série 'Actualités'), datant de vers 1840-1843, présente un militaire en habit civil négligé regardant son vêtement militaire posé sur une chaise sous un tableau de lui-même en officier. La légende indique : « Dégommé !! » Un « dégommé » est une personne ayant été destituée de ses fonctions (terme utilisé en particulier pour un militaire). C'est aussi un homme ou une femme ayant vieilli, perdu de sa fraîcheur au propre comme au figuré. Le gommeux est tout le contraire. Il est jeune avec une allure que Gyp (qui elle-même ressemble beaucoup à une gommeuse sur la photographie ici) décrit dans Ohé la grande vie (1891) :  « épaules et vêtements étroits ; col très haut ; bottines à pointes aiguës et relevées [...] marche en fauchant, les bras écartés du corps avec affectation ». Sa manière de s'habiller est extrême avec des  vêtements au plus près du corps pour certaines parties ou au contraire larges pour d'autres. Une chanson que je cite plus loin décrit un gommeux avec un veston le serrant « fortement » et des bottines pointues semblant trop étroites. Si son veston est serré, il ne l'est pas aux manches qui sont très larges. Son pantalon est collant au niveau du bassin et des cuisses mais se termine en pattes d'éléphant. Son chapeau avec des bords fins semble trop petit pour sa tête alors que le col de sa chemise est ou très haut ou très large. L'utilisation de motifs à pois ou de rayures ajoute à l'excentricité de son accoutrement qui rappelle celui des muscadins ou des incroyables.
Goncourt écrit dans Journal (1875) : « gommeux, l'on prétend que c'est l'appellation de mépris que les femmes donnent, dans les cabarets de barrière, à ceux qui mettent de la gomme dans leur absinthe, à ceux qui ne sont pas de vrais hommes ».

C'est le modeux du dernier quart du XIXe siècle.

gommeuxLibert1
Photographies 2 et 3 (au-dessus): Première page d'une partition de la chanson La Chaussée d'Antin par Libert dont le visage est représenté.

pisto70085300lm
Photographie 4 (à gauche) : Estampe, avec deux gommeux, du dernier tiers du XIXe siècle, ayant pour titre et légende : « Balivernes : - Tu sais la différence qu'Henri IV faisait entre un verre de bon vin et une jolie fille ? - Non … - Pristi ! Alors, tu n'es pas fort sur l'histoire de France. »
On rencontre le gommeux dans les lieux à la mode dont certains cafés-concerts (voir article de Wikipedia) où son personnage est repris sur la scène par des chanteurs spécialisés dans ce genre.
Le site Du temps des cerises aux feuilles mortes, offre toute une page sur l'un des plus fameux gommeux de caf'conc : le chanteur Libert (?-1896), avec de nombreuses images d'affiches le concernant où il est tout à fait dans le style gommeux : mélangeant chic, excentricité et une certaine forme de désinvolture jubilatoire.
Photographie 5 (à droite) : Carte postale avec Polaire : une gommeuse épileptique célèbre.
gommeuse-Polaire-300lm
Les gommeuses sont plus rares ou on été moins sujettes à la satyre, peut-être parce qu'elles sont moins « voyantes » à des époques où toute la mode féminine l'est contrairement à la masculine. Leur style allie l'élégance avec une liberté de ton et une extraversion propres à la jeunesse. Il n'en faut alors pas davantage pour que ce personnage soit imité au café-concert par de jolies et impétueuses chanteuses jouant avec un mélange de raffinement et d’exubérance en y ajoutant une féminité aguichante. A la même époque que Libert et d'autres gommeux des planches, certaines chanteuses deviennent célèbres dans ce personnage comme Henriette Bépoix : une « Diseuse-chanteuse-comédienne », ou Thérésa qui commence sa carrière avec ce rôle. Polaire en est un autre exemple (comme les autres des photographies). Ces gommeuses s'habillent d'une manière recherchée et extravagante. Elles portent parfois un « gigantesque chapeau fantaisiste », avec toujours quelques notes sensuelles voire très suggestives : poitrine mise en valeur, mollets qui se laissent voir (ce qui est à l'époque osé) etc.

Plusieurs chanteuses sont, à certains moments de leur carrière, appelées des « gommeuses excentriques ». Une page de Le Passe-temps et le parterre réunis décrit négativement ce nouveau personnage : « les dessous affriolants de la gommeuse excentrique qu'acclame bruyamment la bande des vieux jeunes snobs, ridés à vingt ans, cosmétiqués, engoncés, retapés comme des pommes blettes, dont la boutonnière s'adorne de gardénias énormes et dont les gants craquent à chacun de leurs impétueux mouvements. » Le 'chahut', une particularité que les petits-maîtres, comme beaucoup de jeunes pratiquent depuis l'Antiquité, est une folie que l'on retrouve maîtrisée dans des danses à la mode comme le chahut-cancan et qui s'exprime sur scène de diverses façons : comme avec le genre gommeuse épileptique qui consiste à ajouter au chant une expression corporelle intense qui peut s'extérioriser depuis les cheveux jusqu'au bout des pieds. Toujours les gestes gardent quelque chose de poupon, d'une féminité vraiment intense. La chanteuse nommée Polaire excelle alors dans ce genre (nombreuses images sur ce site)
gommeuseLucyNanonObliteration1904-300lm
Photographie
6 (au dessus) : Carte postale
(oblitération de 1904) de Lucy Nanon (L. Manon et L. Nanon semblent être la même personne), une gommeuse de caf'conc' de la Belle Époque. Elle porte un grand chapeau fleuri et des falbalas.
gommeusesLucyManon300alm
Photographie
7 (au dessus) : Autre carte postale de Lucy Manon.

gommeuzeexcentriquesuzannecadre300lm
Photographie 8 : « Suzanne d'Artois : Gommeuse Excentrique », avec une dédicace de Suzanne d'Artois elle-même.
gommeuseDeLafereObliteration1906-300lm
Photographie
9 (à gauche) : Carte postale, avec une oblitération datant de 1906, d'Irma de Lafère (Le I de « I DE LAFERE » ressemble à un J mais c'est de cette façon que cela s'écrit alors). Il s'agit d'une gommeuse du café-concert. Elle porte une ou deux bagues de pierres précieuses à tous les doigts sauf aux pouces, et un habit entièrement brodé de paillettes. A cette époque les habits élégants peuvent être particulièrement fin pour les femmes. J'en ai quelques exemples, brodés et/ou avec de la dentelle … On se demande même comment il peuvent être alors portés tellement ils sont fragiles, ajustés au plus près du corps. Ne serait-ce que de boutonner ou déboutonner certains corsages est une aventure de dextérité. De plus le corps des plus jolies dames façonnés dans des corsets et des chaussures faites pour des « pieds mignons » est véritablement délicat, ce qui se ressent dans les habits. C'est encore comme cela au début du XXe siècle jusque dans les années 1910 où le corset commence à être délaissé ou remplacé par une forme s'apparentant de plus en plus à la gaine.

Photographie 10 (à droite) : « Aventure de gommeuse : Chansonnette. Créée par Mlle Méaly à l'Eldorado. A Mr Chretienni des Ambassadeurs. »  « Paroles de Delattre de Nola » ; « Musique de Louis Raynal ». La gommeuse dessinée ici est dans une tenue très coquine puisqu'on lui voit toute la jambe et même la culotte. Elle porte le fameux grand chapeaux rappelant celui des bergères de pastorales. Les ailes dont elle est affublée dans le dos rappellent celles d'amour et apportent un mélange de candeur au débridé. Sur cette première page on y trouve des noms d'autres chansons comme Le défilé des Pchutteuses ou Ba.be.bi.bo.bu. L'intérieur donne la partition et le texte de la chanson que voici :
aventuredegommeuseretravaillee300lm
   « 1er Couplet
Alltto. Polka.
Mouvt. de Polka modéré
En passant l'autre jour par la Chaussée d'Antin
J’aperçois un gommeux qui m'suivait à distance,
Il prenait avec moi des grands airs d'importance,
Moi je m'disais tout bas : Dieu qu'il a l'air d'un s'rin.
   Refrain Polka
Moi j'trottinais comm'ça :
Tra la la la la,
Tra la la la la,
Tout en faisant comm'ça
Tra la la la la,
Tra la la la la,
En me r'luquant comm'ça :
Tra la la la la,
Tra la la la la,
Il me suivait comm'ça :
Tra la la la la,
Tra la la la la !
   2
Il avait un veston qui l'serrait fortement,
Des bottines pointu's qui semblaient trop étroites,
Clignant alors de l'oeil je l'aperçois qui boite,
Il paraissait ma foi souffrir horriblement.
gommeusedeTender300lm.jpg
Moi j'minaudais comm'ça :
Tra la la,
Tout en faisant comm'ça :
Tra la la,
Lui me suivait comm'ça :
Tra la la,
En grimaçant comm'ça :
Tra la la,
   3
Cependant il s'approche et, d'un p'tit air bênet,
Me dit, en souriant : Permettez-moi, mamzelle,
D'marcher à côté d'vous en vous offrant mon aile.
J'lui réponds : J'suis honnête ! Et j'lui donne un soufflet !
Puis je repars comm'ça :
Tra la la !
Me balançant comm'ça :
Tra la la !
Il s'élance comm'ça :
Tra la la !
S'tenant la jou' comm'ça :
Tra la la !
   4
Enfin je m'laisse emm'ner au restaurant Bignon,
Nous entrons tous les deux et l'on se met à table,
Les vins étaient très bons, le repas agréable,
Dam' ! Si bien qu'au dessert j'avais mon p'tit pompon !
Je titubais comm'ça :
Tra la la,
Lui me r'gardait comm'ça :
Tra la la,
Ja l'agaçais comm'ça :
Tra la la,
Semblant lui dir' comm'ça :
Tra la la !
   5
Tout-à-coup la port's'ouvre et, jugez d'notr'malheur,
Un vieux monsieur s'amèn' paraissant en colère,
L'gommeux s'écri' soudain : Sapristi ! C'est mon père !
Moi j'réplique aussitôt : Ciel ! C'est mon protecteur !
Baissant les yeux comm'ça :
Tra la la,
Je m'suis sauvé' comm'ça :
Tra la la,
J'ne r'commenc'rai plus ça :
Tra la la ! »
Photographie 12 (à gauche) : Carte postale (ayant une oblitération de 1908) d'Alice de Tender.
Voici quelques peintures de gommeuses de caf'conc' : La gommeuse de Jean Béraud (1849-1936) de 1892 ; La gommeuse et les cercleux de Jean-Louis Forain (1852-1931) circa 1875.
Gommeux de caf'conc : Ambassadeurs : Nos gommeux par Libert : 1 et 2 ; Le quadrille des Gommeux par Eugène Pirou (1841-1909).
Représentations de gommeux : Gommeux par Cham (1819-1879) ; Le Gommeux au bouquet par Jean-Louis Forain (1852-1931) ; Les deux gommeux par Jean-Louis Forain (1876).
GommeuseDeTender2300lm
Photographie
13 : Autre carte postale d'Alice de Tender.

© Article et photographies LM


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Richard Le Menn 304 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine