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[Entretien] avec Henri Droguet, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

Poezibao propose un entretien mené par Jean-Pascal Dubost avec Henri Droguet.  
Ci-dessous le début de l’entretien. Ce dernier étant assez long, le fichier intégral en est proposé en téléchargement. Il suffit de cliquer sur le lien pour accéder au texte.  
 
 
Jean-Pascal Dubost
 : La langue de tes poèmes est faite de houle et de tempêtes, ça gronde, c’est furieux, ça brinquebale et semble à l’abordage constamment, de quelque chose, d’un espace riche de lexique. L’un de tes livres porte en titre très précis les coordonnées de la ville où tu vis (48°39’N-2°01’W), Saint-Malo, ville au passé corsaire qu’on sait, et précisons que tu es natif de Cherbourg, autre ville portuaire, où tu as passé ton enfance. En quoi tes poèmes sont-ils imprégnés de ces deux lieux, Saint-Malo et Cherbourg ? 
 
Henri Droguet
 : Oui j'ai vécu les 17/ 18 premières années de ma vie à Cherbourg, puis une dizaine à temps partiel, puis à temps plein, à Caen, enfin j'habite depuis 1981 à Saint-Malo, après une « escale » de quelques années à Dinard.  
Appelons tout ça l'Armorique pour simplifier.  
C'est un espace qui à quelques exceptions locales près (la plaine de Caen et la Côte de Nacre) a une certaine homogénéité géologique (socle hercynien à base de granite et de schiste), morphologique (prédominance bocagère et donc polyculture - élevage), météorologique (climat dit océanique).  
Il y a là un répertoire élémentaire sommaire et fondamental : l'air sous la forme venteuse, l'eau qui est la mer omniprésente et toutes les sortes de pluies* le roc, les nuages les merveilleux nuages, et ce que j'appelle sommairement l'herbe pour désigner d'un mot toutes les espèces végétales. Ce biotope m'a constitué « mentalement », sentimentalement aurait-on dit au XVIIIe siècle, physiologiquement au moins pour une part, idiosyncrasiquement de fond en comble. Je suis largement le produit de ce décor où les ports, Cherbourg et Saint-Malo certes, mais aussi les moindres depuis Port-en-Bessin (Calvados) jusqu'au Crouesty (golfe du Morbihan), autant de séjours charmants, ont leur part. 
Mais quant au rapport de cause à effet entre cet enracinement dans un espace délimité et mes poèmes je constate qu'aucun lieu géographiquement identifiable n'apparaît véritablement dans mes textes, parce que je ne représente pas, et surtout parce que je ne me présente pas moi-même, pas de confidences personnelles, pas de biographie, pas de Droguet was herele décor dans les poèmes ça reste un collage plus ou moins cohérent d'éléments généraux tendant presque à l'abstraction furieuse.  
Mais s'il s'agit des formes de mon écriture oui il y a un rapport direct car c'est la météorologie locale, généralement mouvementée, qui a inspiré mes ramdams. La turbulence élémentaire connote essentiellement pour moi la vie, le tohu-bohu tonique, l'énergie du vivant. Il a fallu que mon écriture soit structurellement, morphologiquement, une sorte d'équivalent de ce tumulte des éléments, d'où les syncopes, le désordre soigneusement établi, il m'a fallu démantibuler et mettre en crise le vieux langage à force d'ellipses, d'anacoluthes, de paronomases, de parataxe, brouiller le sens et les sons, chambouler les rythmes, les pulsations. Il faut quelque chose de sauvage et de hagard dans tout ça parce que, c'est ce qu'écrivait Claude Roy en présentant mes textes dans le Cahier de Poésie 3 de Gallimard, dès 1980 : « Et dans un tout modeste coin du paysage géant en  malouinoscope, un tout petit bonhomme, puce narquoise, râleuse, émerveillée. Les mains dans les poches, il regarde cette grande étendue d'eau, de landes, de bourrasques, cet univers prêt à ne faire de lui qu'une seule bouchée. Et il demande, Droguet (à l'océan? à Dieu? à qui?): "Est-ce que vous pourriez me dire ce que je fais là?" Mais le vent souffle si fort que la réponse se perd dans le naturel fracas de la nature. »  
On ne saurait mieux dire, en tout cas moi pas.  
 
* Rappelons que le taux de précipitations à Cherbourg est très largement supérieur au taux moyen hexagonal. J'ai eu une jeunesse imbibée. 
 
  


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