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Dark Shadows

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Dark Shadows

On ne saurait quoi attendre de Tim Burton tant ses dernières réalisations n’apparaissent pas à la hauteur des chefs d’œuvre qu’il a su livrer jadis. Il est vrai que lorsque l’on pense à Edward aux mains d’argent, Beetlejuice, Ed Wood ou encore Batman Le Défi, son Alice aux pays des merveilles ou son Charlie et la chocolaterie font figure d’œuvres mineures, pour ne pas dire loupées. En revenant a priori sur les thématiques plus classiques et gothiques qui ont fait son succès, Dark Shadows voulait reconquérir un public certes fidèle mais terriblement déçu par le court de sa carrière.

Comme à son habitude, le réalisateur fait de son film un conte avec l’utilisation d’une voix-off, certes un peu trop explicative mais qui a le mérite de poser les personnages. Avec cette histoire basée sur la relation entre une sorcière et un vampire, Tim Burton veut plonger dans une mythologie fantastique qu’il vénère et qu’il maîtrise. Ainsi, le mythe vampirique conduit bien à un être romantique à souhait et la sorcière propose un séduisant pouvoir d’attraction / rbien comme il faut. Le casting tient une part importante dans cette convocation de figures essentielles. Johnny Depp est suffisamment élégant, à la fois dans sa diction so british et dans sa démarche. Surtout, Eva Green dégage une palette sexuelle qui sied parfaitement à son personnage. Elle est la grande révélation du film. Globalement, Tim Burton aime ses protagonistes et les filme avec respect, notamment les femmes quand Eva Green ne balance pas de la pose iconique du plus bel effet. De plus, toute une série de codes sont présents, au hasard d’un cadre, d’une situation ou d’un accessoire qui montrent une sincérité à toute épreuve.

Hélas, par la suite, ce référencement au fantastique tourne au grand guignol et au surfait. En effet, l’arrivée d’une autre figure qu’il faut taire apparaît comme un cheveu sur la soupe via une espèce de twist de personnage qui trahit une écriture sous pression et balancée à la va-vite. Et quand ce ne sont pas les êtres, c’est le décor qui trahit un certain manque d’ambition. L’environnement global est trop propre pour faire réellement gothique et la mise en scène n’explore pas assez les coins et les recoins d’un espace pourtant passionnant. Elle reste trop en surface et au centre du cadre pour réellement interroger les émotions et les réflexions du spectateur. Malgré quelques touches bien senties par des mouvements de caméra élégants, la poésie macabre n’arrive finalement pas à s’installer sur la durée, surtout quand les thèmes musicaux de Danny Elfman, généralement parfaits enrobages de l’émotion, ne trouvent pas leur place.

A ce niveau, et malgré les erreurs, Dark Shadows est un vrai film de son réalisateur et il a le mérite d’entrer dans une cinématographie auteuriste. Tim Burton a lâché pour de bon les commandes mercantiles et il apparaît assez libre. Pourtant, il y a comme un malaise car le métrage peut, quelque part, faire figure de musée burtonien où les enjeux formels sont pris dans un entre deux interprétatif basé sur cette liberté donc mais aussi sur une prise de recul pas forcément bienvenue. Ainsi, le film ne se veut pas être au premier degré à cause de l’utilisation de l’humour et il se pose donc comme un outil référentiel. Pourtant, cet hommage, Tim Burton l’a déjà fait sérieusement avec Sleepy Hollow en prouvant qu’un hommage peut être viscéral. Ici, la distanciation comique provoque un détachement. Elle annihile toute tentative cinéphilique car l’entreprise ne fait tout simplement pas sérieuse tant elle donne l’impression de se foutre de sa propre figure. Dark Shadows fait alors davantage figure d’hommage envers le cinéaste lui-même. Le film tourne à ce niveau un peu dans le vide et prend un statut de maison de retraite filmique. La chose est bizarre car, derrière cet humour, une volonté de renouvellement vient s’incruster. On n’avait ainsi pas vu Burton s’essayait aussi frontalement à l’exercice depuis Beetlejuice et il y arrive parfois avec un certain sens qualitatif même si les blagues ne sont pas du même niveau et que cela reste trop parsemé. C’est bien dommage.

De plus, la tentative d’ancrer le film dans une modernité des années 1970 ne marche pas toujours même si la bande originale est agréable à écouter et emboîte bien le film dans son époque. C’était pourtant la réussite majeure de Big Fish que d’engager le métrage burtonien dans un rapport frontal à la réalité. Cette démarche se posait alors comme une évolution marquante dans la filmographie du réalisateur. Ici, et c’est l’exemple le plus flagrant, on ne voit pas assez longtemps Johnny Depp aux prises avec les éléments nouveaux pour que cela puisse créer un véritable contraste. Cela aurait pu donner de beaux moments de comédie qui n’arrivent pas. Quant au reste, tout est filmé sur les mêmes plans de représentation et d’interprétation alors qu’une réflexion sur la porosité entre les mondes réel et fantastique aurait pu être possible comme il l’avait fait, là aussi, dans Big Fish. Cela aurait donné à Dark Shadows une bien belle profondeur qu’il n’a pas. Dark Shadows est, en fait, une véritable coquille creuse.

Un autre questionnement majeur réside dans la caractérisation de certains des personnages. Il ne prend plus en compte la figure du paria qu’il avait su jadis si bien maîtrisé. Ce problème est évoqué, ici, par la présence des deux enfants jouant l’adolescente et le rêveur. Hélas, ils ne sont pas suffisamment développés pour réellement exister. Leurs écritures sont sommaires tant ils n’ont pas d’importance dans le récit et ils ne prennent pas suffisamment la caméra, restant dans le contre champ de Johnny Depp que le cinéaste ne convoque pas. Pourtant, des relations construites entre ce vampire et ces laissés-pour-compte auraient du voir le jour et le discours habituel sur leur place dans une société qui refuse l’hétérogénéité et les marges se serait parfaitement intégré dans les thématiques humaines classiques du cinéaste. Dark Shadows aurait pu être un film socialement engagé, certes sans grande nouveauté mais avec une conscience toujours vivace et salvatrice. Il ne l’est pas. Finalement, Tim Burton donne l’impression de s’en foutre alors qu’il chérissait auparavant des personnages dont il en faisait des figures d’alter ego. Le spectateur peut alors se demander les motivations du réalisateur quant au développement en profondeur de ce projet.

Dark Shadows ne se pose pas comme une œuvre majeure du cinéaste américain. Il redonne néanmoins quelques lettres de noblesse à la filmographie burtonienne mais sans grand enthousiasme car certaines faiblesses sont irrévocables et presque indignes de la part de Tim Burton. Il faut définitivement avouer que le meilleur du réalisateur est bel et bien passé pour la plus grande déception de ses nombreux fans élevés à l’aube de métrages issus des années 1980 et 1990 et essentiels dans le cinéma américain contemporain.


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