Suite à un sortilège, un gentilhomme du dix-huitième siècle se retrouve brusquement propulsé dans les années 1960. Il découvre avec stupeur que les chevaux ont été remplacés par des “Chevy” (1), que les bougies éclairent un peu mieux qu’avant, que des ménestrels lilliputiens s’agitent dans des boîtes étranges que les gens appellent des “télévisions”.
A cette curieuse époque, les “Carpenters” ne sont pas des charpentiers, mais des troubadours, les mélodies ont été remplacées par des chants cacophoniques que les jeunes gens appellent le “rock‘n roll” et les femmes s’habillent comme des courtisanes.
Et surtout, que sa famille jadis si prospère et si puissante, n’est plus que l’ombre d’elle même…
Ca vous rappelle quelque chose? Les aventures de Messire Godefroy de Montmirail et des son fidèle Jacquouille la fripouille, peut-être? Oui, on retrouve un peu des Visiteurs dans Dark shadows. Mais un peu seulement, hein, on vous rassure tout de suite…
Si ce long-métrage joue bien la carte du choc des époques et des cultures à des fins comiques, il s’aventure plutôt, comme l’indique son titre, dans une veine fantastique plus sombre. L’histoire du personnage principal, Barnabas Collins (Johnny Depp) est en effet des plus tragiques. Riche gentilhomme ayant fait fortune dans l’exploitation maritime, Collins filait le parfait amour avec l’élue de son coeur, Josette. Malheureusement pour lui, ceci a rendu furieuse l’une de ses anciennes maîtresses, Angélique (Eva Green). qui s’est avérée être une puissante sorcière…
Elle a envoûté Josette pour la contraindre au suicide, la forçant à se jeter du haut d’une falaise. Et elle a transformé Barnabas en vampire, avant de le faire capturer par les villageois et de l’enterrer profondément sous terre, dans un cercueil cadenassé. Emprisonné dans le noir pour l’éternité, son ex-amant aura tout le temps de pleurer la perte de sa compagne. Cruelle vengeance…
Le vampire est déterré presque deux siècles plus tard, par un groupe d’ouvriers. Après avoir épanché sa soif sur les malheureux, il retourne chez lui et fait la connaissance de ses arrière petits-neveux et nièces. La maîtresse de maison, Elizabeth (Michelle Pfeiffer) occupe le manoir Collinwood avec sa fille, Carolyn (Chloë Moretz), une ado rebelle, son frère Roger (Jonny Lee Miller), fraîchement veuf, et le fils de ce dernier, David (Gulliver McGrath), gamin tourmenté qui “voit des gens morts” et aime se déguiser en fantôme. Complètent la liste des occupants des lieux la psychiatre du jeune garçon (Helena Bonham Carter), le majordome (Jackie Earle Haley) et une domestique qui semble aussi vieille que le manoir lui-même.
C’est le moment que choisit la jeune Victoria (Bella Heathcoat, qui porte bien son prénom) pour débarquer. Mue par une force mystérieuse venue d’outre-tombe, elle a accepté le poste de gouvernante de David. Elle est le portrait craché de la défunte Josette.
Evidemment, Barnabas va tomber amoureux d’elle. Mais courtiser une jeune femme d’une époque qui n’est pas la sienne est loin d’être évident, et être un vampire n’est pas spécialement un avantage non plus si on ne veut pas tricher en usant d’hypnose… Et pour couronner le tout, sa sorcière plus vraiment bien-aimée est toujours là, plus puissante que jamais et toujours décidée à assouvir sa vengeance sur les Collins… Les retrouvailles promettent d’être chaudes…
Eh! Une histoire d’amour tragique qui perdure après la mort, un manoir gothique poussiéreux aux occupants lugubres, une malédiction ancestrale, des créatures surnaturelles, Johnny Depp grimé en vampire, Helena Bonham Carter en furie alcoolique aux cheveux oranges, Michelle Pfeiffer en vamp envoûtante, ça vous rappelle quelque chose? L’univers de Tim Burton, peut-être? Bingo! C’est bien le réalisateur de Edward aux mains d’argent et de Sleepy hollow qui est aux commandes de cette adaptation du feuilleton télévisé Dark shadows (2)créé par Dan Curtis à la fin des années 60. Fan de l’oeuvre originale, Burton a vu dans ce projet l’occasion de rendre hommage à la fois à son genre de prédilection, le fantastique gothique, et à l’époque de son enfance/adolescence, celle qui a façonné son univers si particulier, qui l’a nourri de vieux films, de musiques, de références littéraires.
Le résultat est souvent savoureux, à la fois drôle, touchant et effrayant, axé autour d’un scénario certes assez linéaire, mais efficace, reprenant avec plus ou moins de bonheur certains axes narratifs de la série originale.
Burton est clairement dans son élément. Il peut entremêler la reconstitution d’une Amérique idyllique, celle de ses souvenirs d’enfant dans les années 1960, et son versant plus sombre. Deux faces du même univers qui s’opposent, s’affrontent, s’attirent et se repoussent, un peu comme les mains tatouées “Love” et “Hate” de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur. La référence n’est pas fortuite. Tim Burton semble clairement citer le chef d’oeuvre de Charles Laughton. La scène dans laquelle Barnabas et son majordome balancent un cadavre au fond de l’océan évoque graphiquement celle où le cadavre de Shelley Winters est entraîné au fond de l’eau, fusionnant presque avec les algues.
Rien d’étonnant : La Nuit du chasseur rendait hommage au cinéma expressionniste allemand, une filmographie dont Burton revendique ouvertement l’influence.
D’ailleurs, nombreux sont les plans de son nouveau long-métrage à utiliser les techniques des vieux films expressionnistes, au niveau des éclairages ou de la scénographie. Les scènes inaugurales notamment, où l’effroi se mêle au romantisme, empruntent beaucoup aux maîtres allemands du muet.
L’autre influence, évidente tant chez Burton que chez Dan Curtis, créateur de l’oeuvre originale, est celle des films d’épouvante des années 1950/1960, ceux de Roger Corman et ceux de la Hammer. Le cinéaste joue sur les clichés du genre et sur les éléments récurrents de son propre univers. Le grand manoir Collinwood isolé au sommet de la colline, par exemple, évoque autant le repaire d’Oogie Boogie que la maison de Beetlejuice et le château d’Edward aux mains d’argent. Mais il y a aussi des autoréférences géométriques, visuelles, thématiques…
On reconnaît clairement la patte de Tim Burton dans Dark shadows, ce qui fera sûrement râler certains : “Raaah, Burton fait encore du Burton”.
Ben oui, mais en même temps, c’est logique et c’est bien qu’il possède une identité aussi forte. Sinon, il ne se renouvelle pas beaucoup, c’est vrai, et le charme opère peut-être un peu moins ici qu’avec ses chefs d’oeuvre passés, on le concède. Il est clair, également, que les numéros d’acteur de Johnny Depp ne surprennent plus vraiment.
Mais bon, on ne va pas faire la fine bouche. Mieux vaut un film sans grande surprise et de qualité qu’un objet novateur complètement raté.
Ici, le travail est soigné. Visuellement, c’est un plaisir pour les yeux. Musicalement, c’est un plaisir pour les oreilles, entre les vieux tubes des années 1970 et la partition de Danny Elfman. Et surtout, il y a les échanges complices entre les acteurs. Tous sont impeccables, de Johnny Depp à Helena Bonham Carter, en passant par la trop rare Michelle Pfeiffer. Chloë Moretz confirme tout le bien qu’on pensait d’elle et la jeune Bella Heathcote devrait elle aussi voir sa carrière dynamisée par ce rôle.
Enfin, Eva Green fait une entrée remarquée dans l’univers de Tim Burton, en volant quasiment la vedette aux autres. Elle est envoûtante en sorcière revancharde et diablement sexy. La scène érotique entre elle et son vampire bien-aimé vaut à elle seule son pesant de cacahuètes.
On trouvera juste dommage que le cinéaste ait privilégié, in fine, le grand spectacle boosté aux effets visuels plutôt que d’approfondir un peu plus les liens entre ses nombreux personnages et leurs sombres secrets. Mais là encore, ce n’est qu’un petit bémol sur une partition virtuose, marche funèbre au rythme allegro et aux sonorités joyeuses.
Tim Burton, dont beaucoup disaient l’inspiration tarie, montre avec Dark shadows qu’il est encore là et bien là. L’ombre de lui-même? Plutôt un compliment pour celui qui s’attache encore et toujours à magnifier les ombres et à mettre en lumière les parts sombres de l’âme humaine.
(1) : Chevrolet
(2) : Dark Shadows a été diffusé pendant près de 5 ans aux Etats-unis, entre 1965 et 1971 et compte 1225 épisodes de 23 mn.
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Dark shadows
Dark shadows
Réalisateur : Tim Burton
Avec : Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Eva Green, Helena Bonham Carter, Chloë Moretz, Jackie Earle Haley, Bella Heathcote
Origine : Etats-Unis
Genre : Les visiteurs d’outre-tombe
Durée : 1h52
Date de sortie France : 09/05/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le Journal des Martines
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