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[note de lecture] "manque" de Dominique Fourcade, par Claude Pérez

Par Florence Trocmé

FourcadeSous ce titre: manque, sans majuscule, le dernier livre de Dominique Fourcade réunit treize textes, de taille et de longueur diverses, qui sont tous, ou presque, des textes de deuil. Il n'est de poème que de circonstance, disait Goethe ; ces treize élégies (qui sont aussi hommage, préface, discours, essai, lecture…) n'échappent pas à la règle, mais cela ne signifie pas que leur réunion ici serait seulement d’occasion. Même s'il n'y a pas de programme, bien sûr, même si le livre est rompu, discontinu, mosaïque plutôt qu’organisme, il est un livre, « il y a livre », et ce livre a sa langue, son souffle, ses modulations, son caractère, sa vertu propre.  
Si cette cohérence n'était que thématique, ce serait une pauvre cohérence, une cohérence de surface (d’écorce, comme dirait Saint-Simon). Et d’ailleurs, autant le dire d'emblée, quand ce ne serait que pour écarter l'idée fausse que risque de se former de manque celui qui vient de lire les lignes ci-dessus, ce livre de deuil n’a rien de funèbre. Pas de livre de deuil moins funèbre. Est-ce parce qu'il y a, avec la détresse, « l'allégresse de la détresse »? Et avec la douleur, « la volupté », dit Fourcade, d’avoir écrit la douleur tout de suite, « sans le moindre délai de décence » ? Ou bien est-ce à cause de la lumière, ou des lumières, dans laquelle ce livre, qu’on pourrait imaginer sombre, presque constamment se tient?   
Tout le contraire d'un livre noir. Livre plein de couleurs au contraire: j'ai retenu un jaune de Naples, un « gris miel », un violet sombre, un Magenta, un «  bleu citronné  » (à la fois chez de Kooning et sur un nuage aperçu dans le hublot d’un vol Paris-New York). Que ce foisonnement de couleurs raffinées, lumineuses, ait à voir avec la longue, la profonde passion de Fourcade pour la peinture (un chapitre ici, vingt pages, sur Simon Hantaï, à l’occasion de son décès) c'est l'évidence. Mais au-delà des évidences, on se prend à rêver qu’il y a eu pour les poètes le temps de la noirceur, et même de la « noirceur noire » (de Baudelaire à Beckett); puis le temps de la blancheur (après Mallarmé?) : peut-on imaginer que Fourcade, dont l'entreprise ne tend à rien d'autre, et à rien de moins, qu'à inventer une poésie non pas anti-mallarméenne, mais post-mallarméenne, c'est-à-dire à trouver une issue hors du mallarméisme interminable de toute une poésie française moderne, peut-on imaginer que Fourcade, après le noir, après le blanc, essaierait ici (comme aussi ailleurs) la couleur, qu’il tenterait quelque chose avec l’aide des couleurs ? Qu'il ferait l'essai d'une poésie qui trouverait dans la couleur non pas uniquement un signe ou une preuve, mais un ressort ou un agent de ce que je vais appeler faute de mieux son actualité.  
Faute de mieux. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a dans la poésie de Fourcade quelque chose qui est décidément d’aujourd’hui ; qui l’attache très étroitement, très intimement à l’époque. Affaire d’objets, sans doute, (« son V8 feutre »), de motifs, de noms propres (Simone Pérèle, Princesse Tam Tam…), d’associations surprenantes qui n’ont plus rien à voir avec le vieux surréalisme, ayant une tout autre saveur (« jeune huître, vanillée»). Mais c’est affaire aussi (surtout ?) d’éclairage, de couleurs singulières, de rythmes, de vitesses, et de changements de vitesse. Et en tous cas, d’où que cela vienne, c'est cela qui arrête et qui retient, dans les livres construits/déconstruits de Fourcade, et dans celui-ci en particulier : en plus de leur charme, de leur raffinement, des éclats de vie qu’on y entrevoit, c'est cette évidence immédiate, légère, que c'est d'aujourd'hui.   

Un lyrisme (parce que oui, c’est bien un lyrisme) pour ce temps-ci. Pas un hasard si ça commence sur les marches de l'Opéra. C'est un ouvreur qui chante (mais un ouvreur, pas la diva) : «  Cet homme écrit Fourcade, parlait à la limite du chant, limite où commence l'angoisse  » 
 
[Claude Pérez]
  
Dominique Fourcade, manque, POL, 2012.  Lire les premières pages du livre.


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