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Navigation météorique entre ciel et terre

Par Tudry

Théoclète Dionysiatis, Entre ciel et terre, L'Age d'Homme, 2011, Lausanne, collection La Lumière du Thabor

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C'est véritablement une navigation entre « ciel et terre » que nous propose ce texte d'une « haute profondeur », on s'y enfonce en terra incognita mais bientôt, par le style à la fois léger et austère nous nous surprenons à reconnaître ici ou là les échos d'une voix discrète que nous savons avoir déjà perçu intérieurement.

L'écrivain est moine, sa patrie est l'Athos, la sainte montagne. Son « nom de famille » est celui du monastère où il vécut : Saint-Denys. Et d'une façon assez subtile tout le texte de Théoclète « de Saint-Denys » est un ardent plaidoyer pour la vérité de l'Aréopagite ! Pour la « vraie réalité » de l'ascèse spirituelle du monachisme orthodoxe

« Les érudits modernes qui accusent Denys de platonisme s'attaquent [...]en réalité, à l'image faussée que la scolastique en a fabriquée. Dans son livre, Père Théoclète propose de revenir au vrai Denys à la lumière de l'expérience mystique des saints de l'Eglise orthodoxe, continuée par les ascètes du Mon Athos » (Père Philarète, Introduction, p.66)

Sous la forme d'une nouvelle mettant en scène différents caractères (plusieurs moines, jeunes et anciens, un ermite, un « théologien » universitaire, un juriste agnostique...) Théoclète par le jeu des dialogues (savamment entrecoupés de pensées ou d'évocations « naturalistes ») déroule l'histoire aussi bien extérieure qu'intérieure (j'aurais tendance à écrire « internelle ») du monachisme orthodoxe. Ne reculant devant aucune des difficultés que ne cessent d'inventer certains « modernistes » afin de minimiser l'importance et la singularité de celui-ci, Théoclète avec une humble détermination et une précision aiguë avance sereinement amplifiant à chaque pas la faible lueur de son flambeau de vérité. Lumière qui n'aura de cesse que de paraître fort crue, et paradoxale, à ceux qui refusent de voir, à ceux qui portent le bandeau d'un certain moralisme bas de gamme auquel il voudrait réduire la voie christique, ainsi le moine Chrysostome de répondre au « théologien »

« Permettez-moi de vous dire que vous avez acquis une psychose de la bienfaisance, en enfermant tout le christianisme dans les limites étouffantes des devoirs élémentaires de l'altruisme social. Vous oubliez que le christianisme est Amour et que l'Amour ne connaît pas les limitations qu'invente la tiédeur de la foi pour des raisons faciles à comprendre. L'amour pour autrui, quand il ne procède pas du cœur, est digne de mépris. Quand il vient du cœur, l'âme est en état d'ivresse. L'intérêt du prochain, les bonnes œuvres ne lui suffisent plus. L'amour est double, tendu vers Dieu et vers les hommes. Le monde est trop restreint pour l'âme amoureuse qui veut déverser l'amour sur quelque chose qui soit au-delà de ce monde, sur Dieu. Dans sa recherche de l'Epoux-Christ, elle fuit au désert où Lui-même séjourne. » (p. 80)

Sans aucune aigreur ni ironie, sans dédain ni violence, Théoclète mène tous ces personnages vers une plus juste reconnaissance intérieure de la voie chrétienne ascétique. Et ceci inclut, bien évidemment, cette philosophie des philosophies qui concerne tous ceux qui veulent porter le doux et vigoureux nom de chrétien.

La leçon, forcément discriminante, vient de ceux qui ont vécu le désert, de ceux-là qui sont comme contemporains des Pères du désert, de ces hommes qui ont fait des lieux sauvages des sources fécondes, qui des terres arides ont fait fleurir les parfums renouvelés du Paradis... Voie paradoxale et oxymorique, forcément tant les conditions de ce que nous appelons la « vie » sont mensonges mortifères. Le moine Chrysostome l'affirme avec fougue : le moine est « anathème pour Dieu »... don consacré au Dieu Tri-Un le moine devient « objet de scandale », « maudit », nécessairement, pour ce monde puisqu'il échappe à son emprise !

Le scandale et la folie ne sont pas de « vains mots », pas plus que des figures de style, de «douces allégories » qu'il s'agirait de comprendre (c'est-à-dire finalement de rendre « lettre morte »).

D'ailleurs : « une religion qui se localise dans le cerveau n'est pas une religion » (p. 88). Erudition et connaissance ne valent qu'irriguées par la vie et le labeur ascétiques qui dépouille la raison raisonnante afin de la ré-orienter. Elles sont alors éclairées par une tout autre lumière : « Religion veut surtout dire fuite ou encore rencontre avec l'infini. » (p. 129)

Au long du texte et des échanges stimulants et des rencontres véritablement « bouleversantes », le cœur s'ouvre à ces mystères paradoxaux : « La Révélation ne serait pas la Vérité, si elle ne contredisait pas notre raison orgueilleuse et corrompue depuis la chute morale et la perversité de la vie dues à la désobéissance. » (p. 153)

Et la lumière de la théologie « expérientielle » des Pères, perpétuée, vivante, incarnée encore à l'Athos trace sa route et illumine autrement les connaissances « sèches et stériles » de ce même personnage, elle réoriente les liens entre cœur et cerveau, transforme en lacs d'amour les chaînes de la rationalité cérébrale hypertrophiée :

« L'hypertrophie du cerveau éloigne cet organe de l'âme du cœur et de sa vie. De même que l'hypertrophie du cœur créé des types maladifs. Le développement disproportionné, la culture non coordonnée de l'intellect et du cœur produit une dysharmonie, au point que l'homme apparaît spirituellement comme mono-vertébré, sans flexibilité, privé de la capacité de saisir la vie en sa totalité. Fichte dit que « nos idées, nos systèmes philosophiques, nos cosmothéories ne sont pas autre chose que l'histoire de nos coeurs », « car c'est du cœur que viennent... (Mt.15, 19) comme l'a dit le Seigneur. » (p. 201)

A l'image du splendide Cassienne de saint Nicolas de Jitcha ce texte est une sublime porte d'entrée dans l'exigeante et radicale réalité de la foi chrétienne orthodoxe. Plus érudit encore que le texte de saint Nicolas, menant, de front plusieurs combats pour la vérité il offre, toutefois, de par sa composition subtile et contrastée, une même sensation d'amoureuse fluidité dans les domaines les plus ardus de la condition humaine et de l'espérance divino-humaine.

Disons, en outre, que si la très exaltante introduction écrite par le Père Philarète passionnera certainement tous les érudits et tous ceux que ces « questions disputées » ne fatiguent jamais, le texte du Père Théoclète lui,comme en contre-point, permettra à tous, même aux plus sceptiques, aux plus frileux de se plonger avec profit dans ces domaines conduit qu'ils seront par une douce et délicieuse sensation d'une connaissance qui, « pudiquement », se dévoile avec une humble mais ferme certitude. C'est une vie baignée toute entière dans cette réalité spirituelle du cœur rétabli qui guide le mieux l'inébranlable conviction et qui est le signe de la pleine authenticité des mystiques enseignements harmonieusement tissé tout au long des phrases qui composent ce texte indispensable !


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