Aimer un écrivain, c'est, plus que tout, aimer qu'il écrive... Simple, n'est-ce pas ? Je disais alors à Karl d'écrire quand bon lui semblait, la nuit comme il aimait à le faire, et que je me moquais de ne pas m'endormir dans ses bras comme je le désirais pourtant avec ardeur chaque soir, parce que je savais qu'il cherchait dans le flux des mots leur ordonnancement le plus cristallin, qu'il lui fallait sans tarder fixer sur le papier des aurores d'idées menaçant de s'évanouir s'il reportait l'instant de les retenir prisonnières dans sa mémoire. Je l'avais vite deviné : écrire, c'est s'absenter des autres pour agencer, dans la plus haute des solitudes, un nouvel ordre des choses. (Elle se tourne alors vers Karl.) Souvenez-vous, je vous l'ai dit tant de fois : Écrivez ! Écrivez ! Moi je me charge de ce monde qui est le mien, puisque j'ai choisi de vivre avec vous et d'y être bien.
Cela faisait longtemps que je n'avais rien lu d'Yves Simon. Octobre 2011. 7 mois donc, autant dire une éternité, mais comme je l'avais dit dans la dernière chronique que je lui avais consacré, c'est un écrivain que je réserve à des moments bien particuliers, des moments que je pourrais dire charnière, et c'est un peu le cas en ce moment.
Le narrateur est écrivain, biographe plus exactement : les gens lui confient leurs souvenirs, et il en fait des livres. Un peu désabusé, il n'est pas celui qu'il avait rêvé d'être, et il a l'impression de s'être perdu lui-même. Il voudrait bien écrire, pour de vrai, un roman, mais il n'a que des débuts. Aujourd'hui, il a rendez-vous avec Karl Berline, un vieil écrivain retiré du monde, avec qui le narrateur s'est lié suite à la disparition tragique de celui qui était un fils pour l'un, un ami pour l'autre...
Yves Simon me nourrit. Il me nourrit, me transporte, m'inspire, comme peu d'écrivains sont capables de le faire, car lui et moi avons un univers, une manière de concevoir le monde et l'existence, en commun. Ici il est avant tout question d'écriture, de cette musique en soi qui peut faire valser le monde. Et il est question d'amour, bien sûr. D'un appétit de vivre, malgré les douleurs, qui va de pair avec la jouissance d'écrire. Car l'écriture, chez Simon, est la substance même de la vie, elle est intrinsèquement liée au bonheur d'exister, et "écrire apprend à connaître les confins de sa propre existence". Elle est ce qui fait aimer le monde, le savourer, le prendre dans ses bras, dans une espèce de jubilation. Et cette exaltation de la vie est éminemment sensuelle, et charnelle : la langue est subtilement poétique, porteuse de vérités sur le monde et sur la vie d'une évidence sublime, touchant parfois à un lyrisme exalté et quasi-mystique. Yves Simon parle d'amour comme personne, il dit tout, il dit le mystère, il dit la magie, sans pour autant le déflorer. L'amour et la création littéraire se trouvent alors faits de la même chair.
Il se dégage de ce roman, finalement, une beauté triste et mélancolique terriblement émouvante, car il est un "acte d'amour cosmique". Sublime !
Je voudrais tant revenir
Yves SIMON
Seuil, 2007