Magazine Cinéma

Moonrise Kingdom : le début de la fin ?

Par Wtfru @romain_wtfru

Moonrise Kingdom : le début de la fin ?

Réalisé par Wes Anderson
Écrit par Wes Anderson et Roman Coppola
Avec Jared Gilman, Kara Hayward, Bruce Willis, Edward Norton, Frances McDormand, Bill Murray, …
1h30

Résumé :
1965, en Nouvelle-Angleterre. Suzy et Sam, deux adolescents d’une douzaine d’année, tombent amoureux l’un de l’autre. Las de leurs vies et de leurs entourages, ils décident de s’enfuir pour aller vivre ensemble. Cette fugue soudaine provoque une panique tant dans la famille de la jeune fille que dans le camp scout où résidait Sam…

Avis :
Wes Anderson serait-il sur le déclin ?
C’est l’une des questions que l’on est en droit de se poser après visionnage de son dernier film, Moonrise Kingdom, diffusé en ouverture du 65ème Festival de Cannes.
Après nous avoir ébloui les mirettes de nombreuses fois depuis ses débuts à la mise en scène en 1994 (avec le court-métrage Bottle Rocket, adapté en long deux ans plus tard), le réalisateur de Rushmore semble en effet connaître une légère baisse de régime avec ce nouvel objet filmique en forme d’ode à la jeunesse.

Tout avait pourtant très bien commencé puisque la première partie de Moonrise Kingdom fait partie des plus beaux moments jamais filmés par le metteur en scène. On pourrait même la voir comme la quintessence de l’art et du style de Wes Anderson tant elle semble résumer avec des images simples les précédentes œuvres de ce dernier.
On y retrouve tout ce qui fait le charme de ses films : des longs travellings latéraux, des portraits de personnages hauts en couleurs, une atmosphère très kitsch (il était d’ailleurs temps qu’il se décide enfin à filmer ces 60’s qu’il vénère tant), des images très stylisées, un flegme aux allures britanniques, et surtout une façon d’établir le cadre et son histoire qui doit faire jalouser la plupart de ses homologues.

Deux scènes sont, de ce point de vue, particulièrement jouissives.
La première nous installe dans la maison des Bishop. En quelques mouvements de caméra, le ton est donné. Premièrement, on sait qu’on est devant du Wes Anderson (un style reconnaissable entre mille). Deuxièmement, on a affaire ici à un beau portrait de famille : tous les personnages de la maison nous sont présentés, et on est immédiatement à même de pouvoir les situer dans le cocon familial de part leur comportement durant cette introduction.

L’autre scène marquante se déroule dans le camp scout où, grâce à un somptueux travelling latéral, le spectateur suit l’inspection des troupes faites par le chef de meute Ward (interprété par l’excellent Edward Norton).
Anderson, dont le style trouve d’étonnantes résonances avec l’univers du scoutisme, nous présente un camp aux allures militaires, truffés d’éléments visuels à la Michel Gondry.

La suite du film découle alors d’elle-même : les deux adolescents s’échappent des groupes auxquels ils appartiennent (la famille pour elle, les scouts pour l’autre) et s’enfuient en forêt pour ne plus vivre que tous les deux.
Wes Anderson adore présenter les enfants sous leur meilleur jour. Ces derniers s’avèrent d’ailleurs souvent plus conscients du monde qui les entoure que les adultes qui les accompagnent.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que les deux jeunes acteurs choisis pour les rôles principaux possèdent des physiques peu communs, presque trop adultes justement : Sam ressemble étrangement à une sorte de mini Michael Stuhlbarg (le héros de A Serious Man), et Suzy possède des faux-airs de Kristen Stewart.
Tous deux font bien plus que leur âge, et cet effet est accentué par les accessoires fournis par Wes Anderson : la pipe de Sam, la robe de Suzy (tout droit sortie d’un placard de France Gall), et bien entendu le fait que toute cette histoire, totalement intemporelle, se déroule dans les années 60.

Leurs scènes sur la plage sont absolument splendides. Anderson a parfaitement su capter l’innocence liée à l’adolescence et aux premiers émois amoureux.
Totalement ironique et plutôt audacieuse, l’image de leur premier baiser est à la fois extrêmement touchante et totalement hilarante, résumant à elle seule tout l’intérêt que peut présenter la première partie du film (elle nous offre en prime une scène de danse culte sur « Le temps de l’amour » de Françoise Hardy).

Mais malheureusement, la suite n’est pas du tout du même acabit. Une fois leur petite escapade avortée et leur campement découvert, les choses se gâtent tant pour nos deux héros que pour nous, spectateurs.
Scénaristiquement parlant, le film se détruit totalement dans cette seconde partie. On ne retrouve plus une seule idée, plus une seule option. Anderson s’embourbe dans des mauvaises idées d’évasion et nous offre un final véritablement décevant. Il se perd totalement dans son histoire abracadabrantesque et ne fait plus évoluer ses personnages.
Pire encore, on a parfois l’impression qu’il les oublie littéralement, obsédé par l’idée qu’il va devoir gérer des scènes de déluge. Il n’y a qu’à voir comment Sam et Suzy sont ignorés dans la dernière demi-heure, ce qui n’est rien, cependant, comparé à l’inconsistance des personnages interprétés par Harvey Keitel et Tilda Swinton.

Anderson nous gâche d’autant plus le plaisir qu’il nous a montré, dans le passé et dans la première partie du film, qu’il savait mieux que quiconque créer et établir des personnages ubuesques et attachants.
Ici, seuls nos deux petits héros, Bill Murray (parce que c’est un génie) et Edward Norton (parce que le costume de scout lui va comme un gant, et qu’il s’agit sans doute du rôle le mieux écrit du film) parviennent à tirer leur épingle du jeu.
Les autres sont laissés totalement à l’abandon, à l’instar de Frances McDormand et Bruce Willis. Leur petite histoire d’amour volage ne pèse en rien sur le récit.
Beaucoup de médias ont loués la performance de Willis dans ce rôle un peu décalé, mais soyons honnêtes : il ne fait guère de merveilles ici, et il a d’ailleurs prouvé qu’il pouvait faire bien mieux par le passé.

Wes Anderson aurait sans doute gagné, au final, à faire durer un peu plus longtemps la cavale du couple d’amoureux. Résultat son film possède un léger arrière-goût d’inachevé, un peu identique à celui que l’on ressentait dans La vie aquatique, mais en beaucoup plus âpre (Zissou était suffisamment charismatique pour maintenir tout le poids du film sur ses épaules).
Espérons en tout cas que l’inspiration du réalisateur de La famille Tenenbaum n’a pas totalement disparu et qu’il parviendra encore à nous surprendre à l’avenir.
Il serait tout de même dommage qu’il finisse par tomber dans sa propre caricature…


Retour à La Une de Logo Paperblog