Air France annonce enfin la couleur, à petites doses.
Nicolas Sarkozy n’est plus là pour imposer une mise en sourdine qui, de toute manière, était de circonstance, c’est-à-dire électoraliste et, par définition et nécessité, à durée limitée. Voici donc que commencent à sortir des tiroirs des plans sociaux et autres mauvaises nouvelles économiques, des secrets de Polichinelle. On les savait inévitables, le délai de décence a expiré, nous entrons dans le vif du sujet.
C’est Air France qui ouvre le bal. Avec de multiples précautions oratoires, l’équipe conduite par Alexandre de Juniac agissant avec une prudence de Sioux en choisissant l’homéopathie. D’où une première phase préparatoire faite de restructuration, de repositionnement, de nouvelles dispositions pour en arriver à reconnaître, au terme d’un communiqué bien tassé de trois pages à simple interligne, «qu’Air France aura à faire face à un sureffectif». Son ampleur devrait être précisée dans la seconde quinzaine du mois prochain et la discussion sur la manière de faire sera alors engagée : «éviter le recours aux départs contraints reste un objectif». En d’autres termes, il faudra patienter pour être en mesure de prendre la mesure des dégâts.
D’ici là, de premières mesures concrètes seront engagées, la plus spectaculaire d’entre elles étant le retrait de trente-quatre avions de la flotte de court/moyen-courriers. L’offre ne serait pas diminuée pour autant, dans la mesure où, grâce à la formule opérationnelle des «bases», directement inspirée de la manière de faire de Ryanair et EasyJet, les avions de la famille A320 devraient être utilisés plus intensément (une heure de vol de plus par jour pour chacun d’entre eux). Dans le même temps, la filiale Transavia devrait être sensiblement renforcée et aligner peu à peu une vingtaine d’appareils, contre huit actuellement.
Curieusement, Air France présente Transavia comme le volet «loisirs» de son offre revue et corrigée, ce qui revient à dire qu’elle ne franchit toujours pas le Rubicon pour tenter d’en faire une low cost à part entière. Alors qu’au même moment, EasyJet reconnaît déployer d’importants moyens commerciaux pour attirer une part croissante de trafic d’affaires. Enfin, même si ce n’est pas dit explicitement, le pôle régional (Regional, Britair et Airlinair) devrait être regroupé pour constituer un ensemble cohérent. Ce qui suppose d’ailleurs une rationalisation des moyens mis en œuvre, c’est-à-dire une diminution du nombre d’avions de types différents, Bombardier, Embraer et ATR.
Il n’est pas question de reprocher aux dirigeants d’Air France un quelconque manque d’imagination, les recettes du redressement espéré ne pouvant sans doute pas reposer sur d’autres méthodes. Et, quoi qu’on en dise, dans la mesure où la manière de faire homéopathique permet d’exclure l’usage des mots qui fâchent, le pire est à venir. En effet, Air France voit arriver la facture d’un fort manque de réactivité dans un monde aérien qui a profondément changé, non pas du jour au lendemain, mais depuis une quinzaine d’années. Les compagnies low cost européennes vont franchir cette année le cap des 200 millions de passagers annuels et leur irrésistible ascension ne constitue évidemment plus un phénomène nouveau. Une contre-attaque aurait dû être beaucoup plus rapide, à supposer que les rouages profondément traditionnels d’Air France l’auraient permis.
Transavia n’est pas, en effet, une filiale low cost : c’est plutôt une compagnie proche dans l’esprit du concept charter, mais qui n’avoue pas son nom et a discrètement succédé à Air Charter International. Lui confier vingt avions à l’horizon 2015/2016 permet d’estimer le rapport des forces en présence : a titre de comparaison, les membres du groupement ELFAA (European Low-Fare Airlines Association) exploitent actuellement 800 appareils et disposent ainsi d’une force de frappe redoutable. Mais, de toute manière, il est exclu de faire cohabiter pacifiquement sous un même toit une low cost et une compagnie traditionnelle.
On comprend mieux, en revanche, qu’Air France cherche à positionner sa première et sa classe affaires «au meilleur niveau mondial» dans la mesure où c’est son cœur de métier. C’est là un point fort, conforté par ce qu’il est convenu d’appeler le plan Transform 2015 qui doit permettre de restaurer une compétitivité qui n’aurait jamais dû s’évaporer. Dans le jargon de la sécurité aérienne, on dirait que le problème fait suite à une dangereuse perte de vigilance, avec ignorance de phénomènes précurseurs.
Reste à savoir si le gel des embauches et un plan de départs volontaires, combiné à la contraction d’une partie de la flotte, permettront de réduire les coûts de 2 milliards d’euros en 3 ans. Mais il n’est évidemment pas interdit de croire aux mérites de l’homéopathie.
Pierre Sparaco - AeroMorning