Depuis ce mercredi, c’est avec un mélange certain d’appréhension et de curiosité que les amateurs de Jack Kerouac se bousculent dans les salles afin de pouvoir apprécier l’adaptation du roman de ce dernier, « Sur la route », par Walter Salles. Dans la file d’attente, on s’amuse à compter le nombre de paires de Wayfarers, chemises en jean et pantalons chino ; évidemment, il y a pléthore. Tous se posent la même question : Comment Salles va-t-il réussir à retranscrire le style et l’ambiance de ce livre de Kerouac classé parmi les 100 meilleurs romans anglo-saxons du XXe siècle, ce mélange de malaise et d’envie et cette sensation que tout part à deux cent à l’heure ? Va-t-on, en sortant, tous prendre notre sac à dos et partir en stop à des milliers de kilomètres, shootés à la benzédrine ? Et puis, il y a ces adolescents qui, à la vue de l’affiche s’attendent à un remake de Road Trip, sans Seann William Scott.
Un projet titanesque
Le projet de l’adaptation cinématographique de « Sur la route » date des années 1950, où l’écrivain voyait déjà le road movie à l’écran avec Marlon Brando et James Dean en tête d’affiche. En 1968, c’est Francis Ford Coppola qui acheta les droits du roman et fit appel à Joel Schumacher, Jean-Luc Godard ou encore Gus Van Sant afin de mener avec lui l’aventure : en vain. C’est en découvrant « Carnets de voyage » que Coppola pris contact avec Salles.
Ce dernier, devant l’ampleur du challenge qui l’attendait, se documenta sur l’écrivain et la « Beat generation » et alla même jusqu’à prendre la route afin de refaire le trajet de Sal Paradise dans le livre. Toujours dans la préparation du tournage, il réunit dans un « camp beatnik », tous les acteurs avec des personnes ayant un rapport avec l’histoire du livre. « L’idée est de créer un collectif avant de commencer un film », expliqua-t-il. Ainsi, dans ce camp, Salles y a rassemblé Barry Grifford, écrivain proche de Kerouac, la fille de LuAnne Henderson/Marylou et le fils de Neal Cassady/Dean Moriarty.
Un juste casting
Kristen Stewart, Sam Riley et Garrett Hedlund : voilà un croisement d’acteurs aux carrières pour le moins discordantes. De prime abord, ce casting pourrait laisser planer le doute quant à sa concordance avec les personnages du roman. Que nenni ! Kristen Stewart, choisie pour jouer dans ce film bien avant la saga Twilight, signe ici le rôle qui lui permettra de se détacher de l’image d’actrice pour films de pré-adolescents. Juste et envoûtante, le personnage de Marylou lui colle à la peau. Plus proche de ses rôles dans « Into The Wild » ou « The Runaways », « Sur la route » est pour elle un énorme gain de crédibilité qui lui permet de gravir les marches du festival de Cannes pour la première fois.
On ne doutait pas de la place de Sam Riley dans ce film tellement il a impressionné dans le rôle de Ian Curtis dans « Control ». Fragile, cultivé et fasciné, le personnage de Sal Paradise/Jack Kerouac possédant les mêmes traits de caractère que celui de Curtis, Riley n’a pas eu à opérer de grands chamboulements dans son jeu mais a confirmé que ce rôle n’aurait pu être donné à un autre. Il se laisse mener à travers les États-Unis et le Mexique, en quête d’une vie utopique, par un Garret Hedlund dans le rôle de Dean Moriarty/Neal Cassady, à des années lumières des personnages auxquels on l’associait jusque là (Patrocle dans « Troie », Murtagh dans « Eragon », Sam Flynn dans « Tron : L’Héritage »). Son interprétation de Dean est un sans faute. On pourrait même se laisser dire qu’il crève l’écran. Ajoutons à cela la belle Kirsten Dunst, plus que touchante, dans le rôle d’une Camille à bout de nerfs et l’on décroche le casting idéal pour une histoire « kerouaquienne ».
La touche de Salles
Kerouac au cinéma, cela fait un demi-siècle que l’idée existe. Les projets ont été mûris, les réalisateurs prêts à franchir le pas, mais nul n’a souhaité s’y coller sérieusement. Salles l’a fait, et de quelle manière !
Il nous présente ici un film plus que fidèle à l’œuvre originale, tant au niveau du scénario et des dialogues que des sentiments que dégagent les protagonistes. Il fait, bien entendu, abstraction de bien des passages du livre pour se concentrer sur le fil rouge de l’histoire : la relation entre Sal et Dean (et Marylou). Tourné entre le Canada et l’Argentine, la sensation de dépaysement à chaque rebondissement est bien là, tout comme les références à la culture Beatnik : jazz, amphétamines, littérature et milieu underground des États-Unis du milieu de XXème siècle. On ne tient pas en place. On a envie de partir sur la route, sous un soleil de plomb, ne sachant où aller et d’écrire un livre. On les envie. On se sent oppressé. Mais ne sont-ce pas là les traits du roman cités plus haut ? Pas tout à fait. Dans le roman, le sentiment d’oppression et de vitesse ne nous quitte pas. Ici, Salles, à la manière d’un chef d’orchestre empli de virtuosité, rythme l’avancée du récit, alternant les scènes de bruits intenses avec de longs silences, passant de la ville et ses automobiles aux champs de cotons, d’une scène de transe au milieu de prostituées mexicaines à un lit d’hôpital.
Le seul défaut que l’on pourrait trouver à ce film (parce que rien n’est parfait) vient de la longueur des trente dernières minutes. Peut-être Salles aurait-il pu condenser un poil la fin et nous laisser savourer quelques secondes de plus du « Yip Roc Heresy », du BeBop king Slim Gaillard ?