Sur la route de Jack Kerouac, de l'écrit à l'écran... Extraits de l’interview de Walter Salles par Auréliano Tonet publiés sur le site franceinter.fr
Où réside, selon vous, la modernité de Kerouac ?
Dans le désir de tout explorer, de vivre, de sentir à fleur de peau et non par procuration devant des écrans. De ne pas refuser le moment. Durant le tournage du documentaire, Lawrence Ferlinghetti et moi circulions en voiture, à San Francisco. Il a regardé le pont de Berkeley embouteillé et prononcé une phrase que je ne suis pas près d’oublier : « You see, there’s no more away », « il n’y a plus d’au-delà ».
À l’époque de Sur la route, il y avait encore un monde à cartographier. Borges disait que son plus grand plaisir dans la littérature, c’était de nommer ce qui n’avait pas encore été nommé. Aujourd’hui, on nous donne l’impression que tout a déjà été fait ou répertorié. (…) Sur la route, c’est comme un antidote à cet immobilisme. C’est ce qui me fascine le plus dans le livre.
Votre film s’ouvre sur des jambes parcourant l’asphalte et se ferme sur des mains tapant sur une autre route - de papier, celle-là : on y voit Sal en train d’écrire le roman de ses périples sur le fameux Scroll. Ce n’est pas la première fois que vous fi lmez des artistes. Qu’y a-t-il de si cinégénique, selon vous, dans le geste artistique ?
Oui, le rouleau, c’est en quelque sorte l’immortalisation de la route. De là une partie de la fascination qu’il génère. Kerouac l’a pressenti, certainement, même si un accident a permis cette écriture-là – les blocs de papier qui composent le rouleau auraient, selon une version, été cédés par un voisin. Ce qui m’attire le plus chez les artistes, c’est la capacité d’anticiper, mais aussi d’offrir des traces du temps où ils ont vécu. Comme les grands sportifs, d’ailleurs. Ils voient avant les autres.