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Comique troupier : la révolution syrienne et ses vedettes

Publié le 29 mai 2012 par Gonzo

Comique troupier : la révolution syrienne et ses vedettes

Avant d’être un genre à part entière, tremplin pour des stars en puissance de l’envergure d’un Fernandel, le comique troupier désigne tout simplement l’artiste comique se produisant devant les troupes. La définition s’applique assez bien à la prestation de BHV paradant sur la Croisette devant quelques vétérans en uniforme de la « campagne de Libye », sans oublier, clou du spectacle, deux authentiques révolutionnaires syriens, exfiltrés de leur pays au prix de tous les dangers et exhibés devant les caméras sous un camouflage ridicule associant lunettes fumées et drapeau du soulèvement syrien. Evoquant l’événement sur le site de La règle du jeu, revue dont BHL est le rédacteur en chef, Laurent David Samama commence ainsi son article :

« Cannes 2012. Un peu avant la montée des marches, libyens, syriens1 et autres résistants acharnés de la démocratie se retrouvent dans les arrières salons (sic) de l’hôtel Majestic. Les regards sont lourds. La conversation est franche, l’ambiance est à la camaraderie mais le contexte de la venue des participants est compliqué. »

La scène est campée, au Majestic, certes, mais seulement dans les « arrière-salons » ! L’heure est grave… Cela se poursuit un peu plus loin ainsi :

« J’écoutais les voix les plus critiques jusqu’à ce que je foule à mon tour le tapis rouge et vive le tumulte [souligné par l'auteur]. Là on mesure la portée d’un mouvement de pensée existentialiste, droit-de-l’hommiste et interventionniste qui se concrétise. Des centaines de photographes, de cameramen, journalistes et spectateurs appellent, interpellent,  demandent dans un incroyable brouhaha de se retourner et de leur expliquer la raison de votre venue. Des milliers d’objectifs vous fixent, la montée des marches est retransmise en direct à la télévision et, alors que la cohorte progresse jusqu’à la salle de projection. De New York à Tunis, de Téhéran à Tel-Aviv, le monde entier vous regarde. Il serait bête de ne pas profiter de l’aubaine pour médiatiser le combat contre Bachar al-Assad et les islamistes. »

La « portée d’un mouvement de pensée existentialiste, droit-de-l’hommiste [ !] et interventionniste »… Ciel ! Retenons la dernière phrase : « le combat contre Bachar al-Assad et les islamistes ». Publiée dans la revue qu’il dirige, on peut penser que ce texte est fidèle à la pensée du maître qui, par ailleurs, a expliqué en long et en large dans son film – c’est le thème du Serment de Tobrouk – combien l’Histoire lui doit pour cette « ingérence réussie ».

Bousculant les règles avec une conférence de presse avant la projection et non pas après comme le veut la coutume (c’était peut-être mieux ainsi aux dires des premières critiques), ce show organisé sur la Croisette, avec figurants encagoulés, avait pour objectif majeur d’associer deux révolutions arabes dans une même nécessité, celle de l’intervention armée. Dans le cas syrien, il s’agit, selon BHL, de lutter « contre Bachar et les islamistes ».

Comique troupier : la révolution syrienne et ses vedettes
L’association est difficile à saisir : on ne fera pas l’injure à BHL et à son équipe de penser qu’ils ignorent que le régime syrien justifie ses pires exactions au nom de la lutte contre le fanatisme musulman, en l’occurrence sunnite. Proposent-ils une intervention armée à la fois contre le pouvoir et contre les groupes armés extrémistes qui, aux dires même de l’ONU, sont désormais présents dans les rangs de la révolte syrienne ? Au regard de ses antécédents, on espère que BHL ne passera pas une fois de plus par dessus la tête du ministre concerné pour déclencher la foudre guerrière car ce serait une inflexion majeure de la diplomatie française ! Le plus probable, malheureusement, c’est qu’en associant islamistes et Bachar al-Assad l’échotier de La règle du jeu écrit rigoureusement n’importe quoi. Des chiffons rouges agités pour amuser la galerie et « justifer » les analyses géostratégiques de l’ancien « nouveau philosophe ».

Les opposants syriens, ceux de toujours et qui souffrent avec leur pays, avaient raison il y a quelques mois de cela de supplier BHL de leur épargner son soutien ! Car pour faire bonne mesure, le philosophe suprême – selon une dépêche AFP que l’on trouve en arabe sur le site Elaph  par exemple – a déployé tout son sens politique pour expliquer que le destin des Libyens ne pouvait se comparer dans l’histoire qu’à celui du mouvement sioniste en Israël !

Dans le monde arabe aussi, les « vedettes » disent leur mot sur la révolution syrienne. Entre stratégie de réconciliation après des années de compromission avec le pouvoir et engagement sincère, les soulèvements arabes leur donnent l’occasion de se manifester comme jamais (alors que les « intellectuels légitimes » sont, dans plus d’un cas, étrangement muets, ou terriblement mal à l’aise).

Mawazine, le méga-festival marocain, a ainsi été l’occasion de déclarations publiques un peu embarrassantes pour les organisateurs qui n’avaient pas prévu que la scène musicale servirait de tribune à des déclarations assez peu diplomatiques. Déjà remarquée pour ses positions, la syrienne Asalah a confirmé son engagement en dédiant une chanson « aux courageux révolutionnaires qui défendent notre liberté ». Elle n’a pas précisé, mais le message est sans ambiguïté. Et les voisins – sans précision là non plus – n’ont pas été épargné : « on ne jette pas de pierres quand on habite une maison de verre ! » (Vexés, les journalistes libanais sont sortis, on se demande bien pourquoi !)

Mais c’est tout de même le Libanais Fadl Shaker qui a assuré l’essentiel du spectacle. D’origine palestinienne mais né à Saïda dans un milieu très populaire, celui qu’on connaissait comme un crooner a surpris tout le monde il y a quelques semaines en mettant sa renommée au service d’un certain Ahmad al-Asir (billet par Romain Caillet dans les Carnets de l’Ifpo), cheikh originaire de la même ville du Sud-Liban désormais résolument engagé dans un soutien à la révolte syrienne qu’on qualifiera d’« énergique » (avec les traductions concrètes de ce terme sur la scène locale comme on a pu le voir dans le nord du pays en particulier).

A Casablanca, Fadl Shaker a profité de son tour de chant pour agonir d’injures le président syrien (Que Dieu le détruise ! Qu’il l’emporte en enfer !), en demandant aux spectateurs de soutenir ces invocations à grand renforts de Amen ! (Oui, ça se dit pareil en arabe !) En guise de confirmation de cette conversion à la juste voie des croyants, Fadl Shaker – dans la grande tradition locale des artistes repentis – a annoncé sur Al-Rahma, une télé (très) religieuse, qu’il renonçait désormais à la chansonnette pour se consacrer au seul chant religieux…

« Contre Bashar al-Assad et les islamistes » dit-on à La règle du jeu, alors que Fadl Shaker, le néo-converti de choc soutient la révolution en Syrie ? Cela devient de plus en plus difficile à comprendre, M. Lévy…

  1. Sans majuscule, ce sont juste des adjectifs, comme des adjuvants au grand show « béhachellien »!

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