À propos de Mario Bellatin
Pierre-Olivier Sanchez éd. Passage du Nord Ouest
envoyé par Alexandre de Nunez
…/… D'où sort donc le subtil et talentueux Mario Bellatin ? Voilà un homme qui aime décidément trop traficoter la biographie des autres pour ne pas jouer un peu avec la sienne : son éditeur précise expressément qu'« il l'invente au gré des interviews et des rencontres », ce qui oblige à prendre les quelques informations disponibles avec précaution. Ses dates et lieu de naissance sont à peu près avérés : Mexico, 1960. Ça se gâte dès qu'on aborde le chapitre des études : on sait qu'il a étudié à l'Université de Lima, au Pérou, mais on ne sait pas exactement quoi (les sciences de la communication selon les uns, la théologie selon les autres) ; c'est en tout cas au Pérou qu'a été publié son premier livre, Las Mujeres De Sal, au début des années 1980. En 1987, il s'envole pour La Havane et y suit les cours de l'École internationale du cinéma latino-américain avec l'intention de devenir metteur en scène ou scénariste ; il rentre finalement au Mexique pour y poursuivre sa carrière littéraire, publiant de nombreux textes dont Salon de beauté (1996), un court roman traduit en français chez Stock et sélectionné à l'époque pour le prix Médicis étranger. On imagine qu'en fouillant dans sa bibliothèque, on trouverait l'œuvre complète de Kafka, celle de Gogol, la plupart des contes de Borges, les livres de Juan Rulfo et de Julio Cortázar et, last but not least, une sélection pointue de nouvelles, poèmes et romans japonais. C'est en effet avec l'esthétique japonaise en général et la littérature nippone en particulier qu'il semble avoir le plus de points communs : goût pour la forme brève, à la limite du haïku parfois, économie de moyens revendiquée, sobriété (voire minimalisme) du style, humour faussement naïf et souci du détail font de lui un héritier possible de Kawabata ou de Tanizaki, lequel fait d'ailleurs une rapide apparition dans le livre (« ce romancier devint le seul artiste dont Nagaoka Shiki eût fait la connaissance au cours de sa vie », confie Bellatin avec un semblant d'amertume).
Extrait de Chronic'art # 19 (avril-mai 2005), article de Bernard Quiriny.
Rares sont ceux qui ont eu la chance de lire La Frontière, le roman le plus hermétique de l'écrivain autrichien Joseph Roth. De ce texte, imprégné des délires alcooliques et des divagations cabalistiques de son auteur, on ne dispose d'aucune traduction. Des fragments d'une version apocryphe circulent et seules les éditions Stroemfeld, à Francfort, conservent jalousement dans leurs archives un mystérieux exemplaire de l'édition originale. Après un long et minutieux travail de recherche, Mario Bellatin a reconstitué ce qui restera comme une énigme dans l'oeuvre du grand écrivain et nous en propose ici une subtile exégèse.
Rabin orthodoxe, Jacob Pliniak est aussi le patron d'une taverne construite à la frontière entre l'Empire austro-hongrois et la Russie : en réalité, ce commerce n'est qu'un paravent destiné à protéger la fuite des Juifs victimes des pogroms. Dans une seconde vie, on retrouve Jacob Pliniak sur la côte Ouest des États-Unis, dans la peau d'une vieille femme de quatre-vingts ans, Rosa Plinianson, que le démon de la danse a déchaînée.
Chiens Héros
« Près de l'aéroport de la ville vit un homme qui, en sus d'être immobile - en d'autres termes incapable de se mouvoir -, est considéré comme l'un des meilleurs dresseurs de bergers belges malinois de tout le pays. Il vit sous le même toit que sa mère, sa soeur, son infirmier-dresseur et trente malinois dressés pour tuer le premier venu d'une seule morsure à la jugulaire. On ne sait pourquoi, quand ils entrent dans la pièce où cet homme passe ses journées reclus, certains visiteurs perçoivent une atmosphère qui n'est pas étrangère à l'idée de ce que pourrait être l'avenir de l'Amérique latine. »
Traduit de l'espagnol (Mexique) par André Gabastou et Gabriel Iaculli
Le jardin de Mme Murakami, d'une harmonie et d'une sophistication achevées, semble à l'image d'une existence maîtrisant parfaitement la cérémonie du thé, l'art des faux somobonos et les situations les plus imprévues.
Dans ce pays qui n'est pas le Japon, la vengeance ressemble à la blancheur cruelle des seins de la servante Etsuko, ou du spectre de M. Murakami errant dans le jardin.
Or, Mme Murakami a décidé de détruire ce havre de pureté. Existe-il un lien entre cette dévastation et le monde brisé des apparences qu'elle doit désormais affronter ?
Rien n'est moins sûr. À défaut de certitudes, le lecteur pourra consulter les notes qui accompagnent le roman et partir sur de nouvelles pistes, ou bien recourir à son imagination. Alors la vérité, « qui se fait passer pour un mensonge et inversement », selon les mots de Bellatin, apparaîtra peut-être fugacement, tel le reflet des carpes dorées du jardin de Mme Murakami.
Traduit de l'espagnol (Mexique) par André Gabastou
Au dire de Mario Bellatin, le célèbre écrivain japonais Shiki Nagaoka exerça une influence décisive sur de grands auteurs comme Juan Rulfo, Tanizaki ou encore le cinéaste Ozu Kenzo. Quant à sa vie et son oeuvre, elles furent très certainement déterminées par la taille de son nez, véritable symbole de « l'invasion belliqueuse de l'Occident » d'après son entourage, et déroutant motif romanesque qui ferait presque douter de l'existence de son auteur. C'est sans compter sur la réflexion essentielle que Shiki mena sur les rapports entre beauté et monstruosité, mots et images, Orient et Occident, laquelle contribua à révolutionner l'art photographique du XXe siècle mais aussi la technique des monogatarutsis.
C'est pourquoi une biographie sur le grand auteur et photographe japonais s'imposait. Riche en détails inédits - notamment sur la manière qu'employait notre homme pour faire rétrécir son nez -, cette investigation féconde livre quelques indices sur l'ouvrage fondamental de Shiki qui n'est « hélas, rédigé dans aucune langue connue ». Elle permet en outre de mieux cerner son biographe, Mario Bellatin, dont le talent pour faire de la littérature un art majeur se voit comme le nez au milieu de la figure, justement. C'est peut-être là le secret des biographies exceptionnelles.
Traduit de l'espagnol par André Gabastou