David Cronenberg est un cinéaste qui a été maintes fois acclamé, auteur de films aussi variés que La Mouche, ExistenZ ou plus récemment Eastern Promises (Les Promesses de l’ombre). Il s’attaque ici à l’adaptation du roman « Cosmopolis » de Don De Lillo sorti il y a dix ans, juste après l’échec relatif d’A Dangerous Method, qui s’intéressait à la psychanalyse.
Il plonge alors dans le milieu de la finance, mettant en scène Eric Packer, un trader qui veut aller chez le coiffeur alors que la visite du président et des manifestations paralysent la ville. Le problème majeur de ce film interminable, ce sont les dialogues, conservés mot pour mot du livre. Or, le travail qui a été demandé à Cronenberg, c’est d’adapter le livre en film, pas de filmer le livre. Résultat, le film ressemble à une captation de mauvaise pièce de théâtre, au budget hallucinant.
Paroles, paroles…
Les dialogues, en plus d’être verbeux et complètement absurdes, rythment cette histoire sur un ton monocorde très vite agaçant. Alors que le synopsis est tout ce qu’il y a de plus classique, Cronenberg réussit à rendre l’ensemble complètement incohérent. Les personnages vont et viennent dans la limousine de Packer sans jamais apporter un quelconque intérêt si ce n’est celui de pouvoir caser encore plus de dialogues moralisateurs sur le capitalisme mais déjà entendus maintes fois. Vacuité soulignée par l’apparente bêtise de Packer, qui passe son temps à rappeler que tout est de sa faute et qu’il n’avait pas vu venir le yuan, comme traumatisé de ce qu’il a vécu.
Mais l’intrigue est complètement délaissée par Cronenberg, et personne ne comprend vraiment pourquoi après un périple d’une heure au travers d’une ville à feu et à sang, après s’être fait entarter par un Mathieu Amalric hystérique, après s’être fait reprocher mille fois par son épouse de « sentir le sexe » (forcément, Packer passe son temps à baiser, dans des scènes au ridicule inégalable), il part de chez le coiffeur alors que le travail n’est vraiment pas fini.
(Il faut dire que moi aussi, si mon coiffeur ne me lavait pas les cheveux alors que j’ai de la tarte à la crème partout, je changerais d’adresse.)
Pattison, pas si mauvais que ça
Pattinson reste loin d’être mauvais dans son rôle, surtout en comparaison de certains de ses compagnons de jeu (notamment son insupportable copine blondasse). Seul Paul Giametti, qui arrive pour la clôture, tire réellement son épingle du jeu en solitaire qui en veut à la société, mais surtout à notre héros (sinon c’est pas très drôle). Dans cette scène finale, la seule à éveiller réellement l’intérêt du spectateur, Giamatti ne quittera pas une serviette de bain posée tantôt sur ses épaules, tantôt sur sa tête (beaucoup plus impressionnant), et interprète un homme aux trousses de Packer mais ses motifs restent peu clairs (Packer l’a viré, mais il n’a pas l’air très affecté par son licenciement).
Dans ce long pensum, rien n’est clair, parce que peu est porteur d’un sens quelconque. Cronenberg cite Marx à foison, assez évident dans un film qui s’attaque au capitalisme, mais faire hurler « Un spectre hante le monde » à des ahuris qui tiennent des rats par la queue ne sert pas le propos. Quant à la mise en scène, elle est classique de chez Cronenberg, mais on a l’impression d’avoir déjà vu chacun des plans du films dans un précédent : l’ensemble est sans surprise, et donc sans saveur. A force d’abuser de la contre-plongée, le cinéaste canadien lasse visuellement, et seule la photographie léchée sauve réellement l’image de son film.
Pour bien souligner que Packer et ses compagnons vivent dans une bulle, quand les personnages sont dans la limousine, la vie extérieure est inaudible, et les dialogues creux se poursuivent.
Il serait malhonnête de dire que le film n’a laissé aucun espoir au spectateur, certaines fulgurances apparaissent ci et là, rares mais bien présentes : un court plan-séquence de Packer montant des escaliers à la recherche du fou qui lui tire dessus voit la virtuosité du réalisateur pointer le bout de son nez, autant que quelques rares plans disséminés dans le film. Cependant, les dialogues lourdingues et poussifs ne survivent pas au passage sur grand écran, et font de cette non-adaptation un non-film dont la seule question valable ne porte pas sur le sujet du film : « Où vont les limousines la nuit ? ».
Au risque d’en surprendre certains, elles sont garées dans un parking.
Cette réponse se fait en réalité le reflet du film : une réponse logique à l’incohérence. En face du néant, il est difficile de faire grand chose, et le film de Cronenberg en a fait les frais.