Death Grips, c’est ce groupe totalement dingue dont nous vous avions parlé l’année dernière. Après leur fascinante première mixtape, Exmilitary, le groupe a promis deux albums pour 2012 : The Money Store et No Love. Le premier des deux, The Money Store, est sorti il y a quelques mois et s’impose comme l’un des albums les plus médusants depuis bien longtemps. Chronique !
Je vais me permettre de déformer la structure normale d’un article en vous donnant un petit avant-propos avant même de vous parler du groupe. Soyez prévenus, Death Grips, c’est excellent, c’est fantastique, c’est génial, et beaucoup d’autres adjectifs aux proportions hyperboliques. Mais Death Grips, c’est aussi l’un des groupes auquel le proverbe “on aime ou on n’aime pas” s’accorde le plus. C’est très violent, c’est encore plus idiosyncratique que les albums les plus obscurs que vous connaissez, et le rappeur a une voix gutturale. En gros, soit vous êtes fascinés, soit vous n’êtes pas habitués à tant d’avant-gardisme et vous n’aimez pas. Donc voilà, c’était pour vous prévenir : si vous n’aimez pas, c’est normal. Death Grips ce n’est pas excellent car toutes les chansons sont plaisantes ou autre… C’est excellent car ça repousse les limites de la musique et que rarement un groupe est allé aussi loin. Voilà, on peut procéder.
Alors, si vous êtes des fervents lecteurs, vous n’avez sûrement pas raté notre chronique de leur première mixtape. Death Grips sont Zach Hill, MC Ride, et… je sais plus, franchement, un monsieur pas très important, car c’est principalement ces deux personnes qui alimentent la folie du groupe. Je saurais pas réellement vous dire quel genre c’est. Principalement, c’est du punk-rap. Après, c’est aussi de l’industriel, de la techno, du noise, du dubstep… Je dirais, hum, punk-clochard-avantgarde-noise-indsutrial-glitch-postinternet-postpleindetrucsdugenre-insondable rap. Et encore, j’ai l’impression d’avoir manqué plein de trucs. Le groupe de rap du Sacramento avait sorti sa première mixtape l’année dernière, et là où c’était dirigé par la folie fascinante du rappeur, qui était le véritable pilier du groupe, leur premier album n’a plus la même vision.
En effet, on remarque surtout la prépondérance de Zach Hill. L’instrumentalisation de l’album est le point principal de l’album, tout tourne autour de la folie avant-gardiste de la musique. Personnellement, j’ai attendu cet album pendant très longtemps. Quand il est sorti, je n’avais pas le son sur mon ordinateur et je me torturais en lisant une ribambelle de chroniques estampillées de 10/10 et autres notes mirifiques. Oui, pour beaucoup, The Money Store est l’album, le petit morceau de perfection unique, tellement bien fait qu’il repousse les limites humaines de la musique. Et c’est au final totalement ça, c’est bien cet album qu’on ne peut comparer à aucun autre album, pas même à leur mixtape. Enfin, mmh, en y réfléchissant, je pourrais le comparer à Madvillainy : L’album culte du hip-hop était acclamé pour avoir repoussé les limites du rap et de les déformer de manière anarchique, presque punk. Ici, The Money Store fait la même… Sauf que c’est vraiment du punk. Surtout, cet album repousse les limites de… presque tout en fait.
Prenons la structure musicale. Les samples sont extrêmement variés et la conception même de la musique est unique et avant-gardiste. Avec du matériel basique et peu coûteux, ils enregistrent tout, samplent des vidéos étranges sur youtube (le WAWAWAWA de System Blower est samplé d’un cri de Vanessa Williams durant un match de tennis, l’intro de Hustle Bones d’un jeu sur calculatrice Casio, l’intro de Punk Weight… d’une chanson ch3bi marocaine. Oui, oui.) et c’est bien ce qui rend leur travail culte et fascinant : ils ne se limitent à rien. Eux-mêmes décrivent leur travail comme primitif et avant-gardiste, presque tiers-mondiste. Ils ne se soucient pas de la qualité de l’enregistrement, de la qualité du sample, ou autre. C’est l’utilisation des samples, la structure musicale qui est tellement avant-gardiste et réellement punk. Car qu’on se le dise, il y a énormément moins de rock que dans la première mixtape, et beaucoup plus d’électro (un mélange de tout : de l’industriel, du noise, du dubstep, de la basse, de la techno, du glitch-hop… et j’en passe) !
MC Ride est moins énervé, mais toujours aussi dingue. On a l’impression qu’il est sous énormément de drogues, il parle de délires insondables, de violence, de… je sais pas, franchement, je comprends rien. Et personne n’a compris, personne. Sauf Death Grips. On ne peut même pas considérer le flow du rappeur (est-ce que c’est vraiment du rap ? des cris ?) comme un critère car écouter Death Grips pour le flow c’est comme écouter Lil Wayne pour ses paroles engagées. Je me permettrais de citer Pitchfork : To call what lead vocalist Stefan Burnett (aka MC Ride) does “rapping” stretches the definition of the word beyond what even an avowed Lil B and Waka Flocka Flame fan like me can endorse. MC Ride hurle, de manière gutturale, presque primitive, on ne comprend pas grand chose sans les paroles (quoique même avec les paroles…) et c’est fascinant. C’est vraiment fascinant. Sérieusement, chaque écoute est fantastique, explosive et presque pétrifiante, cet univers est unique, Death Grips proviennent d’une autre décennie, d’un autre monde, et on n’aura pas droit à de la musique aussi avant-gardiste avant des années.
Ce qui rend le tout aussi fascinant, encore plus que l’instrumentalisation dingue et unique, que les cris d’MC Ride, c’est bien les paroles et le concept. Prenons I’ve Seen Footage : le groupe a rencontré un clochard par hasard dans la rue, il était sous beaucoup de drogues dures, et il hurlait qu’il a vu des enregistrements de la structure lunaire. Ils l’ont enregistré et en ont fait une chanson. C’est aussi simple que ça, et c’est ce côté hasardeux, aventurier, et totalement random qui rend ça dingue. The Fever (Aye Aye) parle d’un état de perdition de l’âme où MC Ride ne sait plus ce qu’il fait, il est dans un état “altéré” et ça le motive, il a The Fever.
Punk Weight est le moment le plus destructeur de barrières de tout l’album. La première minute prend un sample de ce qui ressemble très fortement à de la musique cha3biya marocaine (MAIS OU ILS TROUVENT ÇA ?), le déforment, le pitchent, le distordent dans tous les sens à la manière du post-dubstep, et le transforment graduellement en grosse explosion de noise et d’industriel où MC Ride hurle de toutes ses forces dans le refrain. Et au moment où ça explose, le feeling ravive tous nos sens à la fois. Le refrain est engagé, hurlé, et se grave dans notre mémoire avec une violence dingue.
L’un des sons les plus mémorables est System Blower, avec son beat indescriptible et violent, où on a droit au fameux sample de Vanessa Williams transformé en une grosse basse méconnaissable, et où MC Ride proclame venir “blow” notre “system” avec une violence rare et aliénante.
Mais le moment le plus fascinant de la mixtape reste Hacker, l’outro fabuleuse de l’album et l’un des meilleurs tracks, aussi le plus accessible. MC Ride hurle moins, le beat est assez techno/disco, et le rappeur parle d’un voyage étrange. Il est à Tanger (oui, oui…), il cherche le centre de 3, il voit tout en post et en néo, de la réalité au poulet, puis il rentre dans un apple store, insulte Lady Gaga, et plein d’autres péripéties qui s’enchaînent sans explication. Il parle de serpents femelles pleines, de l’ancien empereur autrichien Tesla, de wikileaks, de jpeg, (notons la line priceless You’ll catch a jpeg to the head), de citrons gothiques, de Pink Floyd… en utilisant tout ça de manière presque aléatoire et en en faisant des choses dont vous n’aurez jamais idée. Surtout, le refrain est explosif, avec le beat glorieux et les cris I’m in your area, I know the first three numbers! et les nombreux Teachin bitches how to swim, line la plus mémorable de l’album.
On ne peut simplement pas écouter cet album du début à la fin sans réagir. Soit on va détester, ne rien comprendre, se frustrer et abandonner, soit on ne va toujours rien comprendre et c’est ce qui va nous captiver. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on aime ou pas, cet album ne peut pas être écouté d’une traite sans réaction. Death Grips sont énervés, contre tout, contre rien, et transmettent une puissance unique et une énergie sans pareil qui rend l’écoute indispensable, pour l’expérience trans-dimensionnelle (excusez mon néologisme mais tout l’album est un néologisme). Tout est avant-gardiste, fou, de l’album à la cover aux vidéos tiers-mondistes. Je ne saurais assez vous recommander d’écouter l’album le plus fascinant que j’ai eu à écouter depuis très, très, très longtemps. C’est fascinant, innovant, destructeur, explosif, hypnotisant, incompréhensible, insondable, et générateur d’adjectifs. 9.4/10
Le groupe prépare déjà un autre album pour l’automne.
Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j'ai 18 ans et je suis étudiant... Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouvé énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !
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