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Vertugadins, paniers, crinolines et tournures.

Par Richard Le Menn

lesmodesdenosfemmesdetailblanc400lm Photographie du dessus : Détail d'une assiette du XIXe siècle décrite plus loin.
robealaturquedetail300lm Photographie de gauche : Gravure provenant de Galerie des Modes et Costumes Français, 30e. Cahier de Costumes Français, 23e Suite d'Habillements à la mode en 1780. « […] Robe dite à la Turque […] on la voit ici dans toute son étendue la queue traînante. » Robe à paniers et traîne du dernier tiers du XVIIIe siècle.
Un article sur les vertugadins, paniers, crinolines et tournures peut être très long ; et j'ai beaucoup de matière iconographique pour l'illustrer. Cependant écrivant dans mon blog sans contrepartie financière, je ne peux prendre trop de mon temps. C'est dommage car ces modes sont passionnantes, d'autant qu'elles donnent à la gente féminine des silhouettes merveilleuses et induisent une vision du monde très différente de celle d'aujourd'hui plus affairée, plus pratique, moins coquette.
La mode des robes larges semble naître avec l'époque moderne qui commence à la fin du Moyen-âge : au XVe siècle. Sans doute en trouve-t-on des exemples plus anciens, mais je n'en connais pas.
C'est en Espagne que LE VERTUGADIN apparaîtrait pour la première fois, avec la princesse Jeanne de Portugal (1438-1475), reine de Castille. De la cour espagnole, cette mode se retrouve en Angleterre par l'entremise de Catherine d'Aragon qui l'importe en se mariant en 1501 avec le prince Arthur, un des fils d'Henri VII. Le vertugadin ressemble alors à la crinoline du XIXe siècle. Il a une forme de cloche se plaçant sous la robe et est composé de cerceaux. La France l'adopte au XVIe siècle mais en le modifiant, donnant de l'ampleur surtout au niveau de la hanche par l'intermédiaire d'un bourrelet remplacé ensuite par un plateau.
Photographies du dessous : A gauche, robe à vertugadin de la fin du XVIe siècle (gravure d'époque provenant de Habiti antichi, et moderni di tutto il Monde ... de Cesare Vecellio). Au milieu, robe volante de la  Régence (1715-1723). On remarque les 'plis à la Watteau' dans le dos. A droite, robe à la française du second tiers du XVIIIe siècle.
3images Photographie du dessous : Robes volantes d'époque Régence.
dameasatoiletterocaille650lm Photographie de droite : Détail d'une gravure provenant de la revue Galerie des Modes de 1778 et ayant pour légende : « Petite Maîtresse en Robe à la Polonaise de toile peinte garnie de petitemaitressetransparent300lm mousseline, lisant une lettre ».
Progressivement, au XVIIe siècle, le vertugadin devient plus sage. A la fin de ce siècle, il ressemble parfois à un simple rembourrage dans le dos (ayant la forme de la tournure de la fin du XIXe siècle), pendant qu'à nouveau à la cour d'Espagne est inventé LE PANIER. En France, Madame Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, surnommée Madame de Montespan (1640-1707) porte une robe dite 'battante' afin de cacher ses grossesses. Sous la Régence de Philippe d'Orléans (1715-1723) les larges robes 'volantes' ou 'battantes', appelées aussi robes de chambre sont à la mode. Le panier est placé sous la robe, ou plutôt sous un jupon. Il est constitué de baleines. Il semble qu'on utilise aussi bien le singulier que le pluriel pour désigner ce sous-vêtement : 'panier' ou 'robe à paniers'. Durant le règne de Louis XV (1723-1774), la 'robe à la française' (appelée en France sacque) remplace la précédente mais conserve les 'plis à la Watteau' dans le dos ainsi que le panier qui prend une forme ovale élargissant les hanches tout en offrant une silhouette plus ou moins plate derrière et devant le bassin. Elle est composée d’un manteau fermé puis ouvert sur une pièce d’estomac et une jupe assortie. Le pourtour de l’ouverture du manteau et la partie visible de la jupe sont agrémentés de bouillonnés variés et de falbalas. Le corsage est ajusté sur le devant et sur les côtés. Le décolleté est profond. On fixe aux manches (en pagode) des engageantes amovibles de dentelle ou de mousseline brodée. Certaines de ces robes ont une envergure peut-être encore jamais atteinte. Sous Louis XVI (roi de 1774 à 1791), la robe à la française prend progressivement la place du grand habit lors des cérémonies officielles pour devenir une tenue d’apparat. La mode est aux robes 'à la polonaise', 'à la circassienne' et 'à l'anglaise'. Les deux premières sont encore très amples contrairement à la dernière. la robe à la Polonaise encore appelée 'robe à la reine' a de nombreuses variantes qui toutes présentent les mêmes caractères généraux : les manches en sabot, un corsage qui tient à la double jupe : c'est-à-dire que le devant et les dos sont d'une pièce jusqu'au bas de la robe.
costumefrancais4joliefemmedetail300lm Photographie de gauche : Estampe du 10e Cahier de Costume Français, 4e Suite d'Habillements à la mode. « Dessiné par Desrais » « Gravé par Voisard » « Jolie Femme en Circassienne de gaze d'Italie puce, avec la jupe de la même gaze couvrant une autre jupe rose garnie en gaze broché avec un ruban bleu attaché par des Fleurs et glands et gaze Bouillonné par en bas, et des manchettes de filet, coiffée d'un Chapeau en Coquille orné de Fleurs et de Plumes. »  Sur Internet on trouve ce reste de description (Centre de recherche du château de Versailles) : « Circassienne de Gaze. Jolie femme en Circassienne, vue par devant ; le corps est décoré de chaque côté, par trois brandebourgs en or, avec leurs glands en paillettes ; la robe de gaze est relevée avec des bouquets de fleurs retenues par des glands ; garniture de gaze en tuyaux. La jupe de gaze, semblable à la robe, sert de voile à une autre jupe de couleur différente ; la soubreveste terminée en pointe, doit être de couleur pareille à la jupe voilée ; les manches de la robe, très courtes, ornées de leur bordure, attachée par des glands, et livrant passage aux manches de la soubreveste, garnies de manchettes de blonde, à deux rangs. Le volant est peu élevé, et coiffé d'un ruban à gros bouillons, mis en guirlande soutenue par des roses en tige ; le bas du volant environné d'un autre ruban pareil au premier, mais sans être bouillonné. Ces robes, pour ainsi dire aériennes, ne peuvent paraître que dans les grandes chaleurs de l'été ; elles ne supportent ni mantelet, ni fichu, ni bouffante, et exigent que le sein soit vu dans toute sa beauté ; quelques élégantes ont hasardé de prendre pour collier un cordon d'or et cheveux, avec deux glands passés l'un dans l'autre, et venant se réunir entre les brandebourgs. Chapeau à la coquille, ou le char de Vénus ; les bords sont environnés d'un ruban pareil à la robe pour la couleur ; le côté gauche, apanagé de deux roses avec tige et boutons : du côté droit s'échappent en serpentant deux petites branches de roses ; le tout est couronné par un panache à trois feuilles accompagné de deux plumes badines et surmonté d'une aigrette à trois flèches. Ce chapeau, aussi noble que gracieux, marche de pair avec le chapeau ou pouf à la victoire. Frisure à la physionomie, ouverte ou à tempérament ; trois boucles de chaque côté, la troisième tombante et accompagnant un chignon bas et natté, avec les nageoires couvrant les oreilles. Souliers uniformes avec la robe, bordés et garnis de la couleur de la soubreveste. »
Sous le Directoire (1795-1799), la fin de la Monarchie et le retour à l'antique sonnent le terme des paniers avec des robes simples, droites, sans corset pour affiner la taille. Le transparent des robes des premières merveilleuses ne demande que l'utilisation d'un ou plusieurs jupons qui au XIXe siècle deviennent de plus en plus nombreux ...
Photographies du dessous : Robes avec crinoline en 1858 et 1866.
1858-1866 Photographie de droite : Robes avec crinoline en 1868.
1ernovembre1868blanc300lm Au début du XIXe siècle, alors que les robes se raidissent, de plus en plus de jupons leur donnent une forme de cloche. En même temps la taille est rabaissée et le corset à nouveau d'usage. Les amples robes accentuent la finesse de la taille d'où les jupons au nombre augmentant. On appelle cela LA CRINOLINE. Le jupon de crin apparaîtrait vers 1839. Les jupons sont de plus en plus nombreux, certains empesés et/ou garnis de volants. Tout cela n'est pas du plus pratique. Afin de garder, voire d'augmenter l’envergure, on renforce le jupon de cerceaux de baleine ou d'osier. C'est en 1856 qu'est inventée la 'crinoline cage' constituée de cerceaux reliés entre eux par des bandes de tissus, tenue au niveau de la hanche par une ceinture, le tout placé sous le jupon. Celle-ci permet d’atteindre des circonférences conséquentes. C'est le troisième article que j'écris sur la crinoline. Dans celui intitulé Crinolines, je présente des assiettes du XIXe siècle témoignant de cette mode. En voici d'autres ci-dessous. Toutes celles de ma collection sont visibles sur cette page. Ces documents, peu connus et peu recherchés des spécialistes jusqu'à présent, sont pourtant des sources d'époque particulièrement intéressantes.
lacrinolinetonnerre2-300 Photographies : Trois assiettes de Choisy le Roi, du XIXe siècle, de la série « La crinoline ».
Celle du dessus : « 1. Plus souvent qu’Adélaïde et moi, nous mettrons jamais de la crinoline ! C'est trop dangereux ».
Celles du dessous : « 2. Oui Madame c'est ici ! Donnez vous la peine d'entrer ». Une dame en crinoline accompagnée d'un valet se demande si c'est bien le bon endroit où on prend soin des crinolines. L'ouvrier lui répond par l'affirmatif. Sur le mur est indiqué : « Lamoureux. Serrurier du beau sexe. Pose les jupes artificielles. »
« 12. Comme si nos femmes n'étaient pas assez légères avant cette maudite invention ».
crinolinelamoureux2-100 lacrinolinelegere2-300 Photographie de droite : Estampe double page provenant de la revue Le Coquet : Journal des Modes datant de 1887.

1887clair-300lm
Puis le devant de la crinoline s'aplatit, toute l’ampleur de la robe étant rejetée vers l'arrière à partir de 1866-67. Ce sont les débuts de LA TOURNURE, elle aussi placée sous le jupon. A partir de 1869, des draperies bouillonées par-dessus la jupe au niveau du haut des fesses nécessitent un soutien. La tournure peut avoir alors plusieurs étages dans le dos. La mode de la tournure est en particulier présente dans les années 1870 et 1880. Elle prend diverses formes, accentuant le faux-cul (tournure 'queue d'écrevisse' ...) ou la traîne de plus en plus longue, ou les deux, avant de ne devenir qu'un simple rembourrage. Vers 1870 elle disparaît même, la robe gardant une longue traîne puis réapparaît en 1881 pour s'évanouir à nouveau vers 1891. Vers 1894 les robes reprennent une forme de cloche plus basse que pour la crinoline, forme sans doute composée par des jupons bouillonnés. En 1900 la finesse de la taille n'est plus accentuée par l'ampleur de la robe mais par un corset qui prend toute la fesse et semble raidir et faire avancer le buste vers l'avant. En 1809 la silhouette devient droite et le corps est plus libre dans les vêtements. La mode n'est plus au corset, et encore moins à la crinoline ou à la tournure.
Photographies ci-après : Assiette de Gien (époque Geoffroy & Cie) datant entre 1871 et 1875, de la série « Actualités », avec pour légende : « Ce qu'on est convenu aujourd'hui d'appeler une belle tournure » « N° 2 ». La tournure représentée est tellement imposante que l'on dirait une crinoline. Il s'agit bien d'une tournure : le devant de la robe de la dame de dos étant sans doute plat comme pour l'enfant à côté d'elle qui a de même une tournure volumineuse.
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Photographies
ci -dessous : Assiette de la série « Jadis et aujourd'hui » : « N°9 Les modes de nos femmes » de Creil et Montereau. La marque au dos est utilisée de 1840 à 1867.

lesmodesdenosfemmes2-300
La mode de la crinoline n'empêche en rien de danser, au contraire. Les danses extravagantes telles le cancan débutent dès le premier tiers du XIXe siècle. On lève la jambe très haut, parfois jusqu'à la tête ; on fait le grand écart etc. Les figures présentes dans l'article
La contredanse et la valse
sont exécutées avec une robe à tournure et le sont déjà au temps de de la crinoline.

Photographies ci-après : Assiettes de  Choisy-le-Roi du XIXe siècle de la série « Paris au bal » :
« 1. Une soirée du grand monde - quadrille des lanciers » ; « 3. Château rouge » ;
« 4. Closerie des Lilas » ; « 5. Mabille » ;
«  7. Château des fleurs » ; « 8. Ranelagh » ;
« 9. Musard. » ; « 10. Asnières » ;
« 11. Prado ».
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Au XXe siècle, si les vertugadins à la françaises et les paniers ont disparu, il reste encore des réminiscences des crinolines et tournures dans des robes de soirée de grands couturiers des années 1950 ou même encore d'aujourd'hui (voir l'article
Le bon goût à nouveau de mode ?
), et surtout dans les robes de mariée.

© Article et photographies LM


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