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Des losanges dans le miroir, et des chakras.

Publié le 04 mars 2012 par Comment7

Des losanges dans le miroir, et des chakras.A propos de : Videodrone de Céleste Boursier-Mougenot, une œuvre de Hubert Duprat, Le Chevalier inexistant de Ulla Von Brandenburg, Tondi de Latifa Echakhch, Clinamen de Frédéric Neyrat…

Des losanges dans le miroir, et des chakras.

Brisures de symétrie, losanges et chakras

A propos de : Videodrone de Céleste Boursier-Mougenot, une œuvre de Hubert Duprat, Le Chevalier inexistant de Ulla Von Brandenburg, Tondi de Latifa Echakhch, Clinamen de Frédéric Neyrat…

De part et d’autre de l’église cistercienne, une toile d’araignée de boulevards, ruelles, flux de voitures et piétons, vitrines de magasins, galeries d’art, musées et monuments, quais et jardins publics. Un espace infini de déambulation où, avec du temps devant moi, je marche sans but strictement défini, juste un plan vague, élastique. Attendre, dans l’asymétrie de la toile, une proie à saisir ou plusieurs à ficeler en cadavre exquis, long à digérer. Ou, à l’inverse, être secoué par une alerte, saisi vif par quelque chose, du il y a, du commencement, un cadeau, en ce jour anniversaire de mon commencement. J’avance donc avec un projet approximatif, laisser vagabonder les idées, dépayser les images internes, prendre l’empreinte des façades d’immeubles et des perspectives d’avenues, chiner du regard dans ce que qu’exposent les devantures – titres de livres, nourriture inhabituelle, objets incongrus, fringues atypiques – et enregistrer vaguement dans le va-et-vient des parisiens, parisiennes et touristes sur les trottoirs, les particularités ou les régularités des démarches, des gestes, des habillements, des traits de visage, des timbres de voix. Un drone visuel et sonore qui m’engourdit, une torpeur agréable, paradoxale car très proche d’une hyperactivité mentale. Une sorte d’état de veille particulier, très sensible, comme si la prégnance de ce drone éveillait une menace métaphysique, le son et l’image d’une force prédatrice lointaine, disséminée, insituée et, par là même, hypnotique, sollicitant des mécanismes de défense paranormaux, une vue et une inouïe exacerbées, propice à la voyance.

Et puis je rentre dans l’église cistercienne et me dirige vers la sacristie où est renseignée une intervention de Céleste Boursier-Mougenot. C’est une chapelle à l’extrémité du bâtiment, un peu à en contrebas, on y descend comme dans une crypte. La sacristie est le lieu où, dans la tradition de l’Eglise, sont « déposés les vases sacrés, les vêtements sacerdotaux, les registres de baptêmes et de mariage » (Petit Robert). Les objets du culte et les archives catholiques avec lesquels le clergé administre et bureaucratise les échanges entre monde séculier et sacré, entre la vie de tous les jours et la vie dans l’église, la vie sur terre et sa symétrie céleste. La surprise est grande en pénétrant dans ce lieu obscur que, par habitude j’imagine clos et en cul-de-sac, de le découvrir comme éventré, sans pouvoir discerner si cela provient d’une intrusion ou d’une excroissance cristalline de la chapelle phagocytant l’extérieur. Là, une marée fixe de réels, un ciel banal d’humanité. La rue y déverse son rythme urbain et son haleine temporelle, la célébration continue des gestes ordinaires, des va-et-vient terre-à-terre. Errances coutumières. C’est un immense vitrail animé, fluide, toile de cinéma. Plus exactement, parce qu’il ne s’agit pas d’un écran se superposant à une surface existante ni d’une pellicule de lumière iconique courant sur la pierre nue, la paroi de la sacristie séparant les ordres terrestre et mystique s’est transsubstantiée en mur-image. Dans la masse. Les coulisses de l’office religieux, habituellement confinées et coupées du monde pour en comploter la délivrance malgré lui, sont littéralement retournées comme un gant, envahies d’une image immense  du monde profane tel qu’il est là, dehors, immanent aux portes de la chapelle.

Plusieurs caméras fixes planquées dans la rue saisissent et projettent le réel à l’état brut.

Malaise à observer ces passants qui ne se savent pas regardés, ignorent que leur image est capturée intégralement et défile là, sur les murs de la sacristie. Dans une autre dimension, œuvre d’art. Qu’ils y marchent, pédalent, tirent la langue en portant le sac des commissions, tirent des enfants par la main, déploient leurs parapluies, courent après leur chien, plus vrais que vrais, se substituant à toute autre iconographie biblique. On est là, ombres dans la caverne, contemplant la réalité toute nue, à grande échelle. Ou dans un sanctuaire symbolisant le paradis sur terre d’où s’offre une vision panoptique sur les gestes réflexes et l’inexpressivité inhumaine des visages qui se croient seuls, les tics et autres marmonnements corporels inaudibles auxquels on s’adonne quand on s’imagine à l’abri de tout regard. Quand nos visages se dépouillent de tout apprêt et épousent l’écho morne des « mots des pauvres gens » (L. Ferré). Incroyable comme le déroulé de ces banalités semble erratique. Quelque chose est surpris qui atteste d’une symétrie désenchantée entre les corps et leur prétention à être.

À la prière et au chant qui, en pareil lieu, recueillent la perte de concordance entre mondes terrestre et céleste, se substituent d’étranges vrombissements et harmoniques. Le son d’un vide. L’image projetée, jamais figée, toujours active dans son actualisation continue de ce qui se passe dehors, serait-ce peu de chose ou rien du tout, juste une variation de lumière, cette image toujours fluente est convertie en musique, sur le champ.  Selon le procédé technique expliqué dans la notice distribuée aux visiteurs : « La sortie vidéo d’une caméra connectée à l’entrée d’un amplificateur audio produit un bourdonnement continu, génère un drone qui module en fonction de la quantité de lumière captée par la caméra, de la luminosité, de la vitesse et de la taille des objets qui traversent son cadre. Le traitement consiste à effectuer la transduction audio du signal vidéo puis à extraire et à amplifier les modulations du signal pour activer des filtres audio qui agissent sur lui, l’accordent ou le colorent. » (Videodrone, Céleste Boursier-Mougenot) Transformation d’un signal en signal d’une autre nature, migration d’un sens, la vue, en un autre, l’ouïe. Quelque chose fléchit dans l’atmosphère, les choses ne sont plus ce qu’elles semblent être, j’entends ce que je vois, je vois ce que j’entends, une faille, une perception hybride. Il n’y a plus complémentarité harmonieuse entre la vue et l’ouïe, plutôt une bifurcation, un relief diffracté. Ce drone se substitue à l’écho eucharistique diffus, tapis dans l’épaisseur de la chapelle, sous l’arc des voûtes. Une forme blanche, fluette, infime, se glisse en moi ou, à l’inverse, une consistance poids plume fatiguée, rend l’âme et s’évapore ? Une particule s’emboîte ou se déboîte, c’est approximatif. C’est indécidable. Je ressors avec le sentiment d’une révélation sans objet, néanmoins fulgurante et douce.

Et m’éloignant dans la rue, étrange de se savoir dupliqué dans la chapelle, regardé par de parfaits inconnus.

« En définitive, il semble bien que pour que quelque chose apparaisse, il faut cette bifurcation originelle, cette brisure à l’origine. (…) Donc, il y a veut dire : brisure de symétrie. Si tout avait été entièrement stable à l’origine, il ne se serait rien passé. Ni Big Bang, ni êtres vivants, ni monde. Pour que ça commence, pour qu’il y ait quelque chose et non pas rien, il faut que, d’une certaine manière, cela ait toujours commencé. Le rien ne pouvait pas ne pas créer de quoi créer, c’est pour cela qu’il-fluctua-jusqu’à-ce-que- (Frédéric Neyrat, Clinamen, ére, 2011)

Fluctuation devant une œuvre de Hubert Duprat où polystyrène et galuchat s’incrustent l’un à l’autre selon un principe de jeux de mots et de matières en miroir. Le matériau blanc synthétique est connu pour ses qualités d’isolant. À son apparition sur le marché, il était considéré comme miraculeux, exemple parfait des nouvelles matières futuristes. Il me fascinait, désagréable au toucher, revêche, et pourtant chaud, confortable. Doux et crissant. Absorbant les bruits et les dissonances si l’on se couchait dessus, immobile, mais couinant et rêche si l’on gigotait sur sa surface friable. On en dérobait des déchets de plaques, sur des chantiers, pour les incorporer à nos cabanes de branches et d’herbes. Cela les rendait, à nos yeux, hybrides et civilisées, rudimentaires et technologiques, habitables. Enveloppe frigide qui nous affranchirait même en hiver des habitations de nos parents. Le galuchat, lui, matière organique, c’est de la peau de raie prisée pour ses vertus thermorégulatrices. C’est le fantasme de s’habiller en peau de poisson pour devenir insensible aux variations de température, dans l’air comme dans l’eau, adaptés à tous les éléments. Leurs textures sont similaires, comme fabriquées selon le même procédé, copiées l’une de l’autre. Négatif et positif d’un même modèle. Le blanc granuleux, mais j’hésite à parler de blanc tant ce livide m’évoque surtout une dépigmentation absolue, constitué de petits alvéoles légers et compactés, c’est la chair du « vide plein », la texture de la révélation contre laquelle, corps invisible, je m’encastrai, dans la sacristie. Cet invisible prend forme. Les panneaux de frigolite composent un coffrage géométrique – cabane, frigo, building, temple cubiste, autel futuriste, machine à voyager dans le temps, mausolée contenant du vide – et sont maintenus ensemble par les bandes de galuchat, signes de soustraction, traits d’union ou angles droits enfoncés dans le blanc écaillé. Message morse vivant éparpillé dans l’immensité blanche lyophilisée. Contraste entre une étendue stérile, étouffante et les implants brillants, résillés noir et argent, respiratoires. L’extrême rapprochement contre-nature entre ces deux matériaux diamétralement opposés, associés dans une complicité artificielle où ils s’exaltent mutuellement, perturbe, crée une réaction entre les bords de peau et de polystyrène, ça crépite, jette des étincelles vides chaque fois que le regard veut s’y poser avec insistance. Quelque chose se faufile. Vers l’extérieur, à l’intérieur ? Un clignement. À l’instant où resurgit le flash de la révélation, elle est subtilisée, remplacée par un regard neuf qui ne comprend plus ce qu’il voit, une forme fluette filante, un nanonéant sans histoire, juste lancinant. Comme quand, deux trains se croisant à grande vitesse, il y a collision et désagrégation explosive de deux points de fuite allant en sens inverse. Un rien. Un bris. Et au sein de ce rien endogène pointe la microscopique excitation de la reconstruction, palpite le germe d’une nouvelle vie, l’alvéole imperceptible d’une nouvelle ligne de fuite. Ou, dans une excitation parallèle, l’intuition que le micro-point d’équilibre se dérobe, celui qui tient tout ensemble, et constater surpris que l’on reste malgré tout entier, en ordre de marche. En sursis ? Jusqu’à quand ? L’un ou l’autre, presque indiscernable, approximation.

C’est au pied de cette construction énigmatique que je trouve une grande feuille de papier au pliage étudié. Une invitation à rencontrer du il y a dans un appartement. Le chevalier inexistant. Le mot « inexistant »fait office d’appât.  Je me rends à l’adresse indiquée (Rosascape, Square Maubeuge). Ni maison, ni galerie d’art. Il faut sonner, répondre à l’interphone et, après le déclic, pousser une lourde porte d’immeuble. Je me trouve dès lors dans une fiction. Le décor correspond à l’architecture pompière et surannée que j’aurais certainement trouvée dans le sarcophage en frigolite si j’en avais soulevé le couvercle pour sonder les entrailles du blanc tombal. Lumières jaunes, lustres vieillots hautains, multiples reflets aveuglants dans les surfaces brillantes, auréoles, ovnis, impacts de flash fossilisés. Les miroirs réfléchissent l’absence, les murs de marbre veiné ou de faux marbre, les moulures académiques, le fer forgé, la rampe lisse, les interrupteurs, les poignées de portes. La cage d’ascenseur, elle, n’inspire pas confiance. Derrière les portes vitrées du fond, avec leurs rideaux tirés, il n’y a probablement rien, personne, aucun concierge. Personne à appeler. Le décalage est trop grand avec la rue, le dehors, une rupture et je suis incapable de deviner sur quoi je vais tomber. Un vide, un blanc. Un espace intermédiaire, intercalé entre dedans et dehors, un ailleurs, une faille temporelle d’errance. Un catafalque, je pourrais, ici, rester oublié, inexister. Entre vestibule et labyrinthe. Je suis à la bonne adresse mais en plein dans un trompe l’œil de glaces cérémonieuses et de stuc. Et si c’était cela, rien d’autre, ce qu’il y a à voir, Le chevalier inexistant ?

Ce qui me fascine dans les installations d’Ulla Von Brandeburg, c’est le rien qui se manifeste comme un souffle au cœur. Le vent coulis entre les différents objets exposés. Le passage furtif d’un ruban qui noue/dénoue. Elle joue de ces espaces entre les signes et leurs sens et dont elle rappelle à chaque fois, par insinuations, la forme organique de labyrinthe aléatoire, le côté intimidant « armure vide », le caractère originel de quête. Au moindre clignement des yeux, de la parole, de la main, il faut partir chercher le sens des choses comme Orphée Eurydice aux enfers. Jouer l’aimant. Et à chaque fois on peut perdre un brin de sens, s’en trouver disjoint, errant comme un chevalier inexistant dans son armure. On est toujours à la fois connecté au sens et, à certains égards, déconnecté, égaré, à côté de la plaque. La quête est inlassable, constante, pour les grandes comme pour les choses infinitésimales, elle exténue et constitue tout à la fois. Surtout si, une bonne fois pour toute, on a ôté aux systèmes symboliques leur assurance et armure machiste, mis en abîme le chevalier, la force virile qui entend régenter tout depuis toujours. Je repense à la traversée des rideaux dont elle a fait une partie de son blason et où chacun peut vivre et revivre à satiété l’entrée en scène et l’adieu à la scène rien que par la traversée de voiles de couleurs, le drapé membranique, l’effleurement onirique des tissus plein de murmures. Le titre de l’exposition Le Chevalier inexistant renvoie à une œuvre d’Italo Calvino et à ce motif héraldique « une tenture entrouverte, qui révèle une autre tenture ouverte, etc. » (Simone Menegoi, Libelle de l’exposition)

J’ai l’impression qu’Ulla Von Brandenburg (en tout cas chez moi) oeuvre par soustraction, elle retire quelque chose plutôt que de charger la barque, elle subtilise un micro-point d’équilibre pour aérer, faire sentir par manque, par défaut. Elle joue sur le désapprendre, aller à rebours, oublier, effacer, expérience de mini apnée, puis retrouver, recomposer, remettre les pièces en place. Comme d’épouser l’étoffe losangée. Suspendue sans prestige particulier mais néanmoins carré de tissu irradiant, rituel. C’est de la peau d’Arlequin toujours habile à jouer avec les faux-semblants pour égarer, dérouter les conventions. En visitant les pièces de l’appartement on découvre un deuxième drap au chromatisme symétrique. Mais à l’intérieur même de chaque jeu de losanges réticulés, chaque cellule est semblable et différente de l’autre. Ça frotte entre chaque losange. Ce frottement subtil rappelle l’infime lueur moléculaire préfigurant la révélation dans la chapelle et le grésillement d’extase ressenti en fixant le bord entre frigolite et galuchat. C’est le même frisson, un fusible qui fond. Quand le regard tente de traverser le drap, il y reste, absorbé, morcelé puis éparpillé, l’œil se démultiplie en losanges oculaires, œil de mouches. Il aperçoit, le temps d’une secousse, le grouillement de vies en sursis dans le vide réticulaire, entre les choses. Il replonge, comme en bain de jouvence, dans la constitution de la vie complexe à partir d’organismes unicellulaires, il réapprend à nouveaux frais les liens entre le tout et ses parties, il bouleverse le regard d’un nouvel amour des choses à voir.

« Losanger eut autrefois (d’après Laurence Talbot) le sens d’attrait et d’aimer ».

« La macle, la fusée et le losange sont des figures ou « meubles » très anciens dans la science des blasons (héraldique). Ces trois formes figurent sur de nombreux écus. Leur symbole global est lié à la vie. C’est l’image de l’organisme unicellulaire primitif ou cristal originel. Par extension il s’agit de l’œil (quand le losange est couché), du hile, y compris le nombril. Cabalistiquement c’est l’île primordiale. » (Hermophyle)

Dans deux chambres contiguës, un écran a été suspendu devant les fenêtres. Les images en noir et blanc s’incrustent dans le dehors, se superposent aux façades et fenêtres d’en face. Je m’assieds par terre pour regarder le film. Il a été tourné dans la salle où je me trouve, je reconnais le parquet, les fenêtres, le miroir. L’écran montre fantomatiquement ce qui s’est déroulé là où je suis. En quelque sorte je m’attends à me voir dans le film (je sais que c’est absurde, mais ça se ressent ainsi). Pendant que je le regarde, j’entends la bande-son de l’autre film projeté à côté. La musique, les paroles, la vitesse du déroulement de l’action sont l’écho de ce que je suis entrain de voir et entendre. La scène jouée est un peu archétypale, singulière et évoquant de nombreuses autres semblables dans le théâtre, les mythes, le cinéma. C’est une partie de cartes entre deux hommes qui semblent n’avoir rien d’autre à faire, coincés dans un vestibule/labyrinthe. Chercheurs d’oracles. Le jeu devrait leur révéler l’une ou l’autre vérité, une destinée peut-être hors de leur anti-chambre, mais il y a soupçon de triche, détournement. Une femme intervient qui semble en savoir plus qu’eux sur la tricherie inhérente au jeu, comme mise en abîme de ce que les cartes donnent à lire Du coup, chaque personnage se perd dans son rôle, n’en sort plus, ne discerne plus aucune porte de sortie, la cage d’ascenseur étant peu engageante. La même scène en boucle. Chaque acteur parle, articule très visiblement son texte banal et sibyllin, pourtant le film est muet, ce n’est pas la voix des comédiens que l’on entend, toutes les paroles sont chantées par une femme hors champs, réverbérées dans une voix de tête, prosodie un peu monocorde synchronisée avec les lèvres des acteurs. Je m’assieds devant l’autre écran, je regarde. C’est le même film, c’est un film différent. Je suis assis entre le même et le différent, indécidable. La même scène a été jouée et filmée en miroir, ce qui est à gauche dans l’un est à droite dans l’autre. Les deux écrans sont bien isolés l’un de l’autre. J’ai la curieuse impression qu’il faudrait pourtant pouvoir regarder les deux films simultanément pour avoir une vision complète et comprendre réellement la scène, pour éprouver une sensation semblable à celle du regard complexe épanché dans le cristallin losangé (révélé dans la draperie arlequine). La compréhension finale est empêchée, sur le fil. Un rien, une intervention invisible font échouer la conjonction parfaite entre forme et sens. Je reste sur ma faim, dans un sens étonnamment positif, jubilatoire, losangé. La vision de ce qui échappe. La trace du vide acéré et résillé entre les choses, une glissade vertigineuse vers le néant. Aux images dans l’affirmation de ce qui est, en voici qui opposent l’expérience physique et visuelle de ce qui ne se présente pas, glisse entre les mailles des différentes figures, ce qui circule entre des images qui interagissent. Un théâtre de frôlements indicibles, creux, qui coulissent entre dessins, objets, tissus, vidéos, couleurs, chansons qui s’interpellent et se répondent, multiplient les entre-deux. L’évitement.

Quelque chose se faufile. Vers l’extérieur, à l’intérieur ? Un clignement. À l’instant où resurgit le flash de la révélation, elle est subtilisée, remplacée par un regard neuf qui ne comprend plus ce qu’il voit, une forme fluette filante, un nanonéant sans histoire, juste lancinant.

Dans le bureau de l’appartement, avant de partir, on me remet une grande enveloppe hermétique. À l’intérieur, un poster plié en deux. Recto, c’est une planche de signes et indices récurrents, cartes battues et rebattues par l’œuvre de l’artiste. Son matériau de prédilection, un aperçu partiel de son génome pictural. Avec une vache qui rit. Le poster contient lui-même une image qui représente le poster dans son ensemble qui contient lui-même une image qui représente le poster etc.. Verso, c’est un agrandissement de la zone où le poster est figuré entier dans le poster. C’est cette glissade abyssale qui s’opère entre les thèmes que l’artiste manipule pour suggérer la dérobade vitale dans leur manière de s’emboîter, se réfléchir et se disjoindre. L’empreinte de ces multiples brisures constitue la plastique et la plasticité de l’œuvre globale de l’artiste. Et c’est la pointe d’un souffle de cette plasticité qui m’atteint et me traverse, comme une révélation sans objet, une passe magnétique qui se solde par l’assurance de rester dans la faim des choses, rien ne se figeant jamais, partie prenante de la mise en abîme. Je doute de ce que je vois, je doute de moi, je doute d’être là, je ne comprends rien, aucune certitude ne s’échange et c’est à travers cela que j’entrevois l’originel toujours à l’œuvre, en train de survenir indéfiniment (comme au fond de la vache qui rit).  Un rien. Un bris. Et au sein de ce rien endogène pointe la microscopique excitation de la reconstruction, palpite le germe d’une nouvelle vie, l’alvéole imperceptible d’une nouvelle ligne de fuite. Ou, dans une excitation parallèle, l’intuition que le micro-point d’équilibre se dérobe, celui qui tient tout ensemble, et constater surpris que je reste malgré tout entier, en ordre de marche. En sursis ? Jusqu’à quand ? L’un ou l’autre, presque indiscernable, approximation.

Brisure, point alvéolaire, losange, chakra. Plus tard, je vois soudain ce que c’est. Agrandi un million de fois. Je dirais de la dentelle rongée par un soleil noir. Des toiles tendues comme des peaux de tambour. Sur ces membranes, une artiste a déterminé un goutte-à-goutte d’encre. Jusqu’à ce que se forme au centre de la cellule un cœur de ténèbres. Maculé. Insondable. Liquide solidifié en croûte. Tout autour des éclaboussures, palpitantes, crépitantes. Constellation anarchique. Fourmillement. « L’encre comme projectile, la toile comme cible » (feuillet de la galerie K. Mennour). C’est désormais figé, séché, imprimé, et pourtant les tondi (Tambours, 2012) de Latifa Echakhch vibrent toujours de leur tempo entêtant. Le sang de l’écriture en plaie astrologique. Abstraction assourdissante. Les gouttes régulières qui s’écrasent, rebondissent, résonnent tout autour du cratère ébène. Formes fluettes filantes percutant perforant les nano-tambours d’un néant commençant. Ça commence. (PH) – Rosascape – Latifa Echakhch – Videodrone, Collège des Bernardins – Hubert Duprat -

Des losanges dans le miroir, et des chakras.
 
Des losanges dans le miroir, et des chakras.
 
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Tagged: art et vide, installation sonore, installation vidéo

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