Si on avait laissé libre cours à nos a priori, l’album d’Exitmusic aurait pu facilement nourrir notre corbeille, déjà gorgée d’albums présentant un marqueur génétique identique : à savoir une actrice s’autoproclamant chanteuse, nouvelle mode qu’on espère régulièrement voir tourner court, tant les expériences précédentes nous sont apparues douloureuses et bien peu respectueuses de nos tympans fragiles. Dans le cas présent, c’est Aleksa Palladino, actrice qu’on a pu voir dans Les Soprano ou Boardwalk Empire, qui se présente à nous, en compagnie de Devon Church, autre moitié du duo, et mari à la ville. Pas de quoi particulièrement éveiller notre intérêt, à la différence notable que Secretly Canadian, écurie rarement décevante dans ses choix, a décidé d’en faire ses nouveaux poulains. De quoi justifier une écoute plus attentive, donc, qui révèle très vite une différence de taille avec les disques de ces actrices en mal de gloriole indie : ici, il n’est point question d’accoucher sous péridurale de jolies ritournelles inoffensives. Bien plus ambitieux, le duo nous fournit un album chaotique, tortueux, qui rend justice au patronyme choisi par le groupe : cinématiques, les chansons d’Exitmusic le sont, définitivement taillées non pas pour accompagner sereinement le spectateur vers le grand air, mais pour clore une histoire qu’on imagine bien ombrageuse et dépravée. Ce premier album n’est pas franchement ce qu’on pourrait appeler une promenade de santé : dans le monde d’Exitmusic, le ciel est bas et lourd, l’apocalypse pas très lointaine. Les textures sont compactes, le propos pas réjouissant, l’ambiance vaporeuse, mais curieusement – heureusement ? – l’ensemble ne mènera pas à cet état d’affliction profonde qui pourrait nous faire fuir en courant. Parce que d’une part, le chant de Palladino captive, sans pour autant irriter, à la manière d’une Zola Jesus qui se serait débarrassée de tout maniérisme superflu. Avec sa voix collant parfaitement à la grisaille ambiante, la chanteuse sait se faire caressante ou stridente, telle une sirène bien décidée à nous faire tomber de notre frêle embarcation : sur The Modern Age, ce qui commence par un chuchotement se terminera ainsi, avec une délicatesse trompant notre vigilance, en dangereuse tempête. Par ailleurs, contrairement à une grande partie de la concurrence jouant dans la même catégorie, les instrumentations ne se contentent pas ici de plonger l’auditeur dans un bain de chloroforme : les guitares se veulent abrasives, les touches électroniques offensives, au service de compositions à l’ambition assumée. On est ainsi impressionné par White Noise et sa structure savamment élaborée, ou encore par la magnifique The Night, montée de sève toute en force tranquille, et sommet – un brin prématuré – du disque.
Au final, si le Passage proposé par Exitmusic ressemble parfois à un tunnel, celui-ci reste bien éclairé et équipé en refuges. L’ensemble est d’une cohérence remarquable, renforcée par la voix en apesanteur de Palladino, qui tire encore un peu plus vers le haut des titres souvent audacieux, jamais ennuyeux. De quoi ravir tous ceux qui rêveraient de passer la musique de Sigur Ros au gaz moutarde, histoire d’obtenir un résultat un peu plus corrosif.
Audio
Tracklist
Exitmusic – Passage (Secretly Canadian, 2012)
1. Passage
2. The Night
3. The City
4. White Noise
5. Storms
6. The Wanting
7. Stars
8. The Modern Age
9. The Cold
10. Sparks of Life