Les conflits qui opposent les individus ne sont-ils pas le reflet d’une division intérieure ?
Les hommes recherchent la compagnie de leurs semblables parce qu’ils y trouvent leur intérêt, et le moyen d’accroître leur puissance. C’est en société qu’on peut briller, dominer, faire de l’esprit, se divertir. Même l’individualiste a besoin des autres pour promouvoir ses prétentions égoïstes.
Mais dans le même temps chacun entend se distinguer, s’isoler, échapper à la règle commune ; on aime n’en faire qu’à sa tête, suivre son idée. Le plus détestable est celui qui veut nous plier à sa règle et nous imposer sa manière de vivre. Qu’on ne nous dise pas quoi faire !
Ce sont ainsi deux tendances opposées qui se disputent le coeur humain : une tendance à faire société et à vivre parmi les hommes ; une tendance à s’isoler et à ignorer les autres. Une attraction doublée d’une répulsion pour la vie sociale.
Quand deux forces sont dirigées en sens inverse, le résultat est l’équilibre. Mais la physique sociale obéit à d’autres lois, car ces deux inclinations contraires forcent l’individu à sortir de sa paresse naturelle et à développer ses talents pour n’être pas en reste.
Ce n’est donc pas le repos que produit ce conflit intérieur, mais la concurrence et la culture. L’égoïsme nous rend plus ingénieux et plus actif ; le regard d’autrui discipline nos penchants ; et ainsi selon Kant se prépare l’apparition de la moralité.
Il se pourrait que, tiraillés par leur insociable sociabilité, les hommes finissent par vouloir vivre ensemble et suivre une loi commune.