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Ne m'appelez plus jamais France

Par Ernestoviolin

C’est marqué partout, dans tous les magazines, du plus spécialisé au plus féminin : l’équipe de France, c’est le flou. L’inconnu. On la contemple, et déjà elle se trouble, se déplace, c’est quantique. Comme sous l’effet d’un mauvais vin, on la voit plus belle qu’elle ne l’est, et même, on en vient à la désirer. D’une bande de bras cassés sympathiques (ou pas, d’ailleurs), on se fait un sérail. Que représente-t-ils ? Personne ne le sait. L’équipe de France, aujourd’hui, c’est la tache d’encre du test de Rorschach : chacun y voit ce qu’il veut, souvent des choses désagréables, qui renvoient aux traumatismes sexuels de l’enfance. C’est l’imprécis, l’esquisse, le tracé au crayon qui précède, annonce le chef d’œuvre… Elle est plus pauvre que Job, pourtant on cligne de l’œil, et c’est Crésus qui apparaît, mais un Crésus maladroit, pataud, qui s’exprime encore avec l’argot de la misère. C’est comme le chat de Schrödinger : on sait qu’elle est dans une boîte, à l’abri des regards, insensible au bruit du monde, mais on ne sait pas si elle est morte, si elle est en vie… Tour à tour Villageoise et Saint Emilion, elle enchante le palais autant qu’elle l’agace — on est malade aujourd’hui, on ne se rappelle déjà plus très bien de ce qui s’est passé avant, mais on devine que c’était glorieux. Plus indéchiffrable qu’une gravure d’Escher on pense la cerner que déjà elle invente de nouvelles géométries, des architectures démentes, comme dans ces maisons galloises où les toilettes sont vissées au plafond… Plus touffue qu’une toile de Bosch, elle est peuplée de créatures effarantes, tour à tour anges, lézards et démons. On demande des exemples ? Je sais bien : dénoncer, prévenir les Allemands… Ribéry serait mentionné sous la plume d’Abdul Al-Azred aux alentours du quattrocento. Sur la pochette d’Abbey Road, on peut lire « ALOU IZ DED » sur une plaque d’immatriculation, et en effet, personne n’a vu ce pauvre Diarra faire quoi que ce soit sur un terrain depuis six ans. Marqué dans sa chair, le bétail français cherche à effacer la lettre écarlate qui lui barre le front depuis Knysna, le Bus, l’Expérience (termes qui renvoient directement aux pérégrinations de Ken Kesey sous LSD.) Les médias parlent de « laver l’affront de 2010 », mais franchement, qui n’a pas franchement ri — on parle bien de ce rire franc, immense, rabelaisien, qui lézarde les murs, et qui sait surtout guérir les blessures — devant la déconfiture sud-africaine ? Le Bus, c’est comme l’interdiction du tabac ou des femmes dans les bars : au début, on s’offusquait, on avait peur de s’ennuyer, finalement, des années plus tard, on reconnaît l’utilité de la réforme, et on se remémore les temps d’abondance avec cette mélancolie joyeuse qui cimente l’amitié. C’est une histoire de cycle : le flou fait toujours place à la précision. On sera donc nuls ou proches du génie, mais pas flous, "incertains", comme l'avancent les analystes frileux. Que ce soit dit : il faut tutoyer les cimes, peu importe en bas ou en haut.

Donc :

France 3 – 0 Angleterre

C’est sur ce score historique, quasi freudien, que nous allons démonter la perfide Albion. Je suis chaque match de Liverpool : je sais déjà qu’on ne peut pas se prendre un but de Carroll, et que Gerrard, tout génie absolu qu’il soit, est sur le déclin. Minée par les blessures, la sélection anglaise aura beaucoup de mal à émerger du groupe D.

Ukraine 1 –  4 Suède

Les Ukrainiens jouent à domicile, mais ont une équipe vraiment faible, avec Shevshenko sur chaise roulante. Les Suédois ont Zlatan Ibrahimovitch — Zlatan, et nous, nous sommes qui, sérieusement ? Son autobiographie récente est le livre le plus enthousiasmant qu’on ait pu lire depuis des années. Souvent mauvais en sélection nationale, il va survoler cet Euro et marquer plein de buts, avant de mourir sur scène, comme Molière, Jimi Hendrix ou Marc Bolan, en 1/4 de final.


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