même sombre même nocturne
ma musique vient du jour
elle est un hommage
à la lumière du jour
le jour en révèle
tous les pigments
je tombe dans le jour et je vois
le reflet tremblant des lampions
dans les flaques de néant
* * *
je descends voir
ce que les autres ne voient pas
tombé abandonné basculé cassé chu
défailli descendu
dévalé effondré
renversé abattu abîmé accompli envolé
éteint déposé succombé trébuché versé
jamais jamais
je ne serai
un objet de plus dans le monde
* * *
je joue au bord du silence
chaque note a sa pesanteur
son apesanteur particulière
je ne bavarde jamais
je n’aime pas le brio
le brio c’est toujours l’égo
et ses vieilles lunes
je préfère jouer vers autrui vers l’autre
tendre sereinement mon coeur
oui ma musique s’envole vers autrui
c’est un art de l’envol quoi d’autre
* * *
je tombe
mais je monte comme un ange
je descends
jusqu’au fond du ciel
je ne sens
aucune douleur
aucune
la vie est vivante
si vivante
Chet Baker (déploration) / préface d’Yves Buin.
- Le Castor Astral, 2008. – 113 p.
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CREDO [EXTRAIT]
je crois à l’opacité solitaire
au pur instant de la nuit noire
pour rencontrer sa vraie blessure
pour écouter sa vraie morsure
je crois à ces chemins
où le corps avance dans l’esprit
où l’on surprend
le bruit de fond des univers
par ces yeux
que la nuit
a pleurés en nous
par ces yeux que la vie
a lavés en nous
je crois comme Trakl
qu’il faut habiter la lumière
par un long questionnement
sans réponse
je crois à Zoran Music
dessinant ses fagots de cadavres
sur de mauvais papiers
trouvant encore la vie
au fond du désarticulé
au fond de l’incarné
au fond de l’éprouvé
exorciste
vertical
je crois aux cassures
de fièvre
aux sursauts de nuit
aux césures de nerf
je crois
qu’il faut prendre appui
sur le vent
s’agenouiller en mer
et se vouer
à l’infini
Zéno Bianu, Infiniment proche (poème), Éditions Gallimard,
Collection L’arbalète, 2000, pp. 122-123-124.
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L’INÉPUISABLE
à Jacques Lacarrière
i.m.
Sans jamais me résoudre
à combler un désert
ni me rassasier de mourir
Maria Ángela Alvim
Voyez
écoutez
c’est un tournoiement sans fin
dans cette mort
rien de triste
disait Van Gogh à son frère Théo
avant d’entrer dans la nuit
avec ses doigts de vision
dans cette mort
juste
la traversée du souffle
Voyez
écoutez
c’est un murmure multiple
des secrets endormis
surgissent
comme une danse de lucioles
on entend
la vraie chair de la parole
on entend soudain
la brèche qui nous saisit
Voyez
écoutez
c’est la voix de la voix
cette peau sonore
dont parle René Daumal en funambule
cette peau
ouverte au fond du cœur
au bord de la vie
cette peau
que nous pouvons enfin revêtir
pour de bon
[...]
Voyez
écoutez
Icare aux bras cassés
n’en finit pas
de voler
il écrit dans le ciel
à haute voix
que nous sommes les vrais dieux
les seules étoiles
sous la voûte du cirque
[...]
Zéno Bianu, Le Désespoir n’existe pas, Gallimard, 2010, pp. 41 à 44
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DU PLUS LOIN…
du plus loin des voix éteintes
les étoiles à nu
blanches de langues
en amont du sans-fin
qui creuse les tempes
un devenu-ciel anéanti
comme on agrippe sa naissance
Zéno Bianu, Fatigue de la lumière, Granit, 1991, page 13.
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“Poudre d’infini” de Zéno Bianu, poème issu de “La troisième rive” lu par Elsa Lepoivre
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Une biographie de Zéno Bianu
