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A la santé d'Henry Miller

Par Irreguliere

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Il faut dire que j'étais tenaillé entre une curiosité presque douloureuse, qui se transformait peu à peu en obsession, et la peur de savoir, d'apprendre quelque chose de lourd, de profond, qui me dérangerait, me perturberait. Je craignais que me fût révélée la vérité, d'avoir accès au secret. Un peu comme un enfant sur le point de perdre ses illusions, qui a compris avant d'être officiellement informé, que le père Noël n'existe pas, et que les petites souris se contentent de bouffer du fromage, mais qui retarde ce moment de toutes ses forces. Savoir est à la fois naissance et enterrement.

Lorsque commence cette histoire, Balthazar Saint-Cène, le narrateur, mène la vie peu palpitante mais confortable de riche antiquaire, marié à une femme qu'il aime profondément et père d'un adolescent. Délicieusement misanthrope à tendance asocial, il rencontre, à l'occasion d'un mariage où il s'ennuyait, Alma, qui lui annonce qu'elle est son ange gardien, avant de disparaître, puis de réapparaître quelques temps plus tard et de l'entraîner dans un pélerinage vers lui même. Et Henry Miller ? C'est une autre histoire.

Derrière un titre énigmatique se cache un roman qui ne l'est pas moins, et qui m'a littéralement transportée. Parfois, je reproche à certains livres de ne pas m'avoir interrogée, et finalement de ne rien m'avoir appris. C'est loin d'être le cas de celui-ci. J'ai beaucoup aimé ce narrateur cynique et misanthrope, nous proposant des observations sur le monde très savoureuses et très drôles, en tout cas au début, car le roman tend à s'assombrir au fur et à mesure du parcours initiatique de son héros : c'est en effet l'histoire, somme toute assez classique, d'un homme qui se rend compte, grâce à une rencontre, qu'il n'est pas en phase avec sa vie et qu'il a fait les mauvais choix. Il y a donc tout un questionnement sur la recherche de soi, le fait d'arrêter de faire semblant avec soi-même. Il utilise même le terme d'Eveil, comme le bouddha. Et puis il y a la question de cette rencontre lumineuse avec Alma, dont je ne vous dirai pas qui elle est mais qui est l'objet de pages d'une beauté inouïe sur cet amour qui est comme une évidence et qui ne peut se comparer à rien, un amour qui est le détonnateur d'un changement de vie, un amour qui nous transforme, nous transfigure et nous fait devenir nous-même, faisant émerger la part intime de notre être qui était encore cachée, en devenir, n'attendant que l'alchimiste qui saurait la transmuer, un amour qui donne envie de croire en Dieu : l'amour, pas forcément amoureux, de notre Autre nous-même, de l'autre moitié de nous, notre âme jumelle (que l'auteur confond allègrement avec l'âme-soeur, mais passons). Je rassure tout de suite les réfractaires à l'ésotérisme : si cet aspect est bien présent dans le texte, il est pour ainsi dire latent et explicite seulement à un moment. 

Tout un pan du roman est également consacré à l'art, à travers tout d'abord le métier d'antiquaire, un métier qui m'aurait plu (me plairait ?), vu mon attachement aux vieilles choses (non, je ne parle pas uniquement des hommes là). Et puis le goût commun de Balthazar et Alma pour ce peintre grandiose qu'est Gustave Moreau, dont le musée assez méconnu, où j'ai passé de merveilleuses heures, donne l'occasion de très belles pages. Et Henry Miller, bien sûr, le motif de l'écriture, comme un fil rouge. Une belle citation de Miller dans le roman m'a totalement transportée et m'a donné envie de lire cet écrivain que je ne connais que de nom : "Je m'aperçus que le désir de toute ma vie n'était pas de vivre. Mais de m'exprimer. Je me rendis compte que jamais la vie n'avait éveillé en moi le moindre intérêt. Tout ce qui m'intéressait, c'est ce que je fais maintenant : quelque chose de parallèle à la vie, qui participe d'elle en même temps, et la dépasse...". Je n'aurais pas dit mieux...

Bref, un roman bouleversant et exaltant, parfois drôle et parfois émouvant (oui, j'ai pleuré parfois), qui n'est pas exempt de petits défauts (la présentation fantaisiste des dialogues notamment) mais ces derniers sont éclipsés par les grandes qualités. Un roman qui permet de réfléchir sur soi, sur les liens qui nous unissent aux autres êtres, sur l'amour universel, le lien indestructible des âmes...

A la santé d'Henry Miller

 Olivier BERNABÉ

Editions Persée, 2011 


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