Après Portrait de ma grand-mère en demoiselle coiffée (2009), voici le second recueil de Marie Huot au Bruit des autres (elle vient de faire paraître Gît le cœur chez le même éditeur). L'expression y est plus resserrée que dans sa trilogie publiée antérieurement au Temps qu'il fait (Absenta, Chants de l'éolienne, Récits librement inspirés de ma vie d'oiseau parus respectivement en 2004, 2007, 2009). Pourtant, à considérer ces curieux blocs de vers, comme granitiques, qui sont les jalons de Dort en lièvre, ce n'est pas le paramètre formel qui s'impose à l'esprit ; plutôt une atmosphère. Cette parole, de toute évidence, s'emploie à renouer avec des pouvoirs anciens, peut-être perdus, de la poésie. Elle creuse l'immémorial et cherche à y faire son nid. Désespérément ? Mais rien n'est sûr en matière de magie ! Or, on le sent confusément, c'est bien de cela qu'il s'agit ; c'est bien cela qui est tapi à l'angle calciné des vers de Marie Huot, égrenant, telle une pythie, « la règle secrète du jeu / Des chiffres et des maisons ». Il flotte dans ces singulières inscriptions un fort relent de grécité archaïque, et ce n'est pas pour rien qu'est évoquée la figure du Minotaure au détour de l'une d'elles.
Faut-il conclure pour autant à une pétrification de ces blocs de parole ? J'opterais quant à moi pour un entre-deux : de là vient la sourde tension qui les anime : calcification d'un côté, comme le poing comprimé d'une rage ; et, de l'autre, appétence d'histoire, ce qui nous place dans la continuité du mythe, que Marie Huot cherche à ressaisir. La récurrence des « Elle dit », « Il dit » en porte témoignage : on est bien dans le sillage de l'épos grec. On pourrait parler ici d'épopée à bas bruit : « Certains les disaient venus / De royaumes en guerre / Porteurs d'encens / Ou d'alcool doux // Leur visage bourdonnant / De questions anciennes / Avaient un buisson très fin / Devant leurs yeux. »
Ce dispositif engendre d'étonnantes efflorescences – floraisons quasi contrariées, mais persistantes, comme chagrinées dans leur beauté : « Le rauque dans sa gorge pousse en lierre / Recouvre sa rage taiseuse. » Ou encore : « Son visage entier charrie des pierres / Il y a des ruisseaux rouges entre ses pieds / En partant elle écrase ses yeux. »
Il est assez rare qu'un poète proscrive de son champ d'investigation tout effet de réel trop facilement assimilable. La quotidienneté en fait ici les frais, et c'est tant mieux. Dans ces épousailles assumées avec le mythe se lit une forte volonté de dépersonnalisation. Ce n'est pas négatif : le « je » s'ouvre à plus grand que soi. Je mettrais volontiers cette visée en rapport avec la volonté, affirmée à la fin, de rechercher « le visage d'une femme / Cent fois recomposé ».
Dans cette quête qui l'anime, Marie Huot tourne le dos aux sentiers trop rebattus d'un réalisme de connivence. Elle leur préfère les voies plus secrètes, plus inquiétantes aussi, d'une féminité immémoriale, naufragée d'une certaine façon, rongée par les brûlures du mythe. Et si c'est elle qui avait raison ?
Jean Miniac
Marie Huot, Dort en lièvre, Le bruit des autres, octobre 2011, 88 pages, 12€. (Couverture : dessin de Bessompierre.)