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Il y a 400 ans : naissance de François-Joseph Bressani

Publié le 13 juin 2012 par Vindex @BloggActualite

Il y a 400 ans : naissance de François-Joseph Bressani

-Image représentant le père Bressani : attention l'apparence est probablement imaginée- 




Pour continuer la série « rétro », faisons un détour sur ce qui cette année, a été l’objet de mes recherches en histoire, le Père François-Joseph Bressani, missionnaire jésuite italien en mission chez les Hurons, dans ce qu’on appelait autrefois la Nouvelle-France ou l’Amérique Française.
Je vous épargnerai la première partie de mon travail, qui consistait en un essai historiographique sur l’histoire des missions, qui s’est peu à peu renouvelée du XIXè siècle à de nos jours. Je vous présenterai simplement selon le plan de mon mémoire la vie de ce missionnaire à la fois authentique et atypique, aujourd’hui redécouvert par les historiens et les communautés catholique et italienne au Canada.

Un jésuite authentique



Né à Rome le 6 mai 1612, le père François-Joseph Bressani peut-être vu comme un jésuite authentique. Sa vie est peu connue avant ses 14-15 ans, âge de son entrée à la compagnie de Jésus. Cette compagnie est un ordre religieux fondé par Saint Ignace de Loyola en 1540. Rapidement reconnue par le pape Jules III en 1550, la compagnie a pour but, comme la devise le fait entendre, de travailler « à la plus grande gloire de Dieu » (ad majorem Dei gloriam). Cette société religieuse s’inscrit également dans un mouvement de réforme catholique face à la « réformation » (dont le protestantisme), qui depuis la fin du Moyen-Age et la Renaissance s’amplifie et se diversifie en Europe. Les spécialités de la compagnie sont la mission et l’enseignement.
Après des études de philosophie et de théologie à Rome au collège Romain, puis au prestigieux collège de Clermont à Paris, le jeune jésuite s’essaye à une des spécialités de l’ordre puisqu’il enseigne la philosophie, la littérature et les mathématiques en 5ème puis en 3ème. C’est bien sûr une solide formation qui lui permet une telle précocité dans l’enseignement, puisqu’il n’a que 18 ans lorsqu’il commence à enseigner.
En parallèle, en « bon jésuite », il développe une attirance irrésistible pour la mission d’évangélisation, un autre rôle bien connu des jésuites. Cette mission est en plein essor depuis le début des temps modernes (fin du XVè et début du XVIè siècle) et provient d’une injonction du Christ selon  Mathieu : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit ». Dans le cadre de concurrence venant des protestants et de croyance en la fin du monde, les missions sont un moyen de répandre le message du christ, grâce aux découvertes géographiques. Dans ce contexte, François-Joseph Bressani lit notamment des récits concernant la mission de François-Xavier en extrême-orient, ce qui lui inspire un zèle missionnaire précoce. Dès 1628, à 16 ans, il demande au père général Vitelleschi à être envoyé en mission dans l’actuel Canada. Cependant le père général lui refuse trois fois, lui demandant l’approfondir sa foi pour que celle-ci l’aveugle moins à propos des dangers de la mission. 
Finalement, il est envoyé en 1642 en mission en Nouvelle-France, dont il est le premier italien. Mais avant même d’évangéliser réellement, il poursuivit sa formation pour qu’elle corresponde aux exigences de la mission. Ayant déjà appris le français, il apprend le Hurons sous la direction du père Brébeuf. Il se voit aussi confier la prédication pour les colons présents à Trois-Rivières, Sillery et Québec. Par son travail et son talent prédicateur, il contente rapidement les supérieurs de la mission, qui l’envoient en 1644 au contact des autochtones, pour réellement évangéliser.

Sa captivité et ses conséquences



A peine envoyé au contact des indigènes, François-Joseph Bressani va en mission pour ravitaillement, accompagné de quelques Hurons. Mais l’expédition tombe dans une embuscade tendue par 27 Iroquois, ennemis des Hurons, qui emmènent alors le missionnaire et ses compagnons avec eux.
Commence alors une marche puis une captivité du 30 avril au 19 août 1644. Le Père Bressani connaît des souffrances importantes, devant chanter pendant les tortures diverses et variées de ces bourreaux. Il faut dire que les iroquois n’avaient probablement pas la même conception de la captivité que nous autres. Selon Roland Viau, en plus d’être un moyen de soutirer des rançons, la captivité des prisonniers est l’occasion de tester les prisonniers, pour qu’ils montrent leur courage et leur endurance aux souffrances, pour montrer leur valeur guerrière. Les souffrances qu’a connu le père Bressani (brûlures, coupures, coups) peuvent aussi être attribuées au fait que celui-ci étaient un missionnaire (les Iroquois ont une « haine de la croix ») et qu’il accompagnait les ennemis de la tribu iroquoise. Le missionnaire connaît des mutilations, de multiples plaies infectées et voit son état de santé s’aggraver. Mais sa foi lui permet de résister à un tel traitement : il voit ces souffrances inférieures à celle qu’il pourrait connaître sur le plan spirituel, invoque souvent Dieu ou la Vierge, et adopte une position de pécheur. Il se prépare aussi à mourir en martyr, ce qui était à l’époque une mort prestigieuse car équivalente à celle du Christ et rappelant les débuts du christianisme. Condamné à mort, il fut pour finir adopté par une iroquoise qui souhaitait l’avoir pour remplacer son grand-père tué par un Huron. Puis les hollandais le rachetèrent et il fut ramené en Europe pour se remettre de sa captivité.
On peut dire que sa captivité fut une étape importante. En effet, dans les lettres qu’il envoya au père Vitelleschi après sa captivité, on voit que sa foi a joué un rôle dans sa résistance et en sort renforcée, d’autant qu’il a pris conscience concrètement des dangers de la mission. Cette captivité lui permit aussi de gagner en autorité : rencontrant le pape à son retour, il est aussi désigné par Marie de l’Incarnation comme un « martyr vivant ». René Latourelle rappelle dans son livre François-Joseph Bressani. Missionnaire et Humaniste que la définition du martyr a changé après Vatican II. En effet, la définition désignait autrefois un chrétien mort pour sa religion, tandis que depuis le concile Vatican II, elle désigne un chrétien mort comme signe du plus grand amour. La situation du Père Bressani est particulière puisque celui-ci fut martyrisé mais sorti vivant de cette captivité. D’où l’expression de Marie de l’Incarnation, qui met en valeur l’épisode qu’a connu le père Bressani.
Le fait que le missionnaire soit qualifié de « martyr » même si c’est un martyr vivant, montre un gain d’autorité, qui le met à un niveau légèrement inférieur à celui des martyrs canadiens (Lalemant, Brébeuf, Jogues…). Le gain d’autorité se voit aussi dans la suite de son histoire. En effet, il retourne rapidement en Nouvelle-France pour continuer la mission. Cela lui donne l’occasion de participer à la paix entre Hurons et Iroquois, et à la conversion des Hurons. Dans la mission, des responsabilités lui sont confiées : il doit notamment rendre compte de la situation de la mission à Québec deux fois et connaît à nouveau des affrontements avec les iroquois en 1648. Cette fois-ci, il s’en sort avec ses 250 Hurons, jouant en quelque sorte le rôle de capitaine lors d’échauffourées. Il se voit aussi confier l’accueil de nouveaux missionnaires et l’enseignement du Huron aux nouveaux, ce qui rappelle son habilité pour les langues.
Néanmoins, dans le contexte difficile d’une mission agonisante, il doit repartir dans l’Ancien Monde en 1650. Cela lui donne l’occasion de finir une bonne carrière de prédicateur en Italie : ses prédications sont écoutées par des cardinaux. Il peut aussi s’adonner à la constitution d’une véritable œuvre jusqu’à sa mort à Florence, en 1672.

Il y a 400 ans : naissance de François-Joseph Bressani

-Etat des mains du Père Bressani après sa captivité-


L’œuvre du Père Bressani



Après sa mission, le Père Bressani fut à l’origine d’une œuvre complète, confirmant ses connaissances et ses capacités provenant d’une formation polyvalente.
Il faut d’abord évoquer sa Relation abrégée de quelques missions de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, écrite en 1653 à Macerata. Composée de trois grandes parties, il s’agit à la fois d’un témoignage des missions et d’une synthèse à propos de missions en Huronie. Le Père Bressani démontre toutes ses qualités d’ethnologue en décrivant les indiens dans leurs coutumes, leurs mœurs, leur morale et leur religion, en comparant avec les européens, les juifs et les catholiques. Il démontre aussi ses qualités de scientifique et de naturaliste, décrivant précisément le milieu naturel auquel il a eu affaire : climat, relief, cours d’eau, forêts, animaux. Cette œuvre est aussi l’occasion de montrer un état de la mission à laquelle il participe, en évoquant la mort de certains pères en martyr, comme Isaac Jogues. Il les célèbre pour leur héroïsme, leur foi et leur courage, et glorifie l’idée de martyr. Il met aussi en avant cette possibilité pour le public italien qu’il vise, en incluant les lettres qu’il a envoyé au père Vitelleschi et qui racontent sa captivité et ce qu’il a vécu pendant celle-ci. Vitrine et résumé des missions, la Relation abrégée fut traduite deux siècles plus tard par le jésuite Félix Martin en 1852, dans un contexte de collecte des sources de l’histoire des missions.
La deuxième partie de son œuvre est constituée par une carte, la Description soignée de la Nouvelle-France. Cette carte, splendide selon Lucien Campeau dans La mission des Jésuites chez les Hurons. 1634-1650, est en quelque sorte un résumé de la Relation abrégée. Elle contient en effet la localisation précise de la mission sur une carte et un encadré, elle contient aussi de nombreux dessins concernant des scènes de vie et de conversion des indiens, des animaux et milieux, mais surtout des scènes de martyrs, pour mettre en évidence le danger et la cruauté des iroquois. Cette carte montre la grande habilité du père jésuite en mathématique et en cartographie : elle contient deux roses des vents et deux échelles et tient compte d’informations récentes pour l’époque à propos des missions. Ses qualités scientifiques sont aussi démontrées par son observation d’une éclipse de Lune à Québec le 18 novembre en 1649, répertoriée par les Mémoires de l’Académie des sciences de 1729.

Il y a 400 ans : naissance de François-Joseph Bressani

-Description soignée de la Nouvelle-France, carte attribuée à Bressani. 1657-


Une redécouverte historiographique et mémorielle



Le père Bressani est donc un personnage riche. J’ai pu remarquer que celui-ci était de plus en plus reconnu, redécouvert et réapproprié.
D’abord, ce missionnaire très peu connu est plus étudié depuis un peu moins de 30 ans. Deux livres furent écrits à son propos, par Camillo Menchini en 1984 et par René Latourelle en 1999. Cette redécouverte historiographique se poursuit aujourd’hui, puisque sa Relation abrégée fut rééditée de manière critique par Francesco Guardiani.
Ensuite, le jésuite italien fait de plus en plus l’objet d’une valorisation par la communauté italo-canadienne et catholique. En effet, un lycée (la Father Bressani Catholic Highschool) fut créé en 1982 à Woodbridge dans l’Ontario. Un buste y a été fait en l’honneur du 25ème anniversaire de l’école en 2007. Au niveau littéraire, Bressani est reconnu comme le pionnier de la littérature italo-canadienne, ce qui valut la création d’un prix littéraire en son nom en 1986. Il existe également une librairie en son nom et en 1994 parut la pièce de théâtre « Bressani » écrite par Frank Spezzano. Elle fut représentée plusieurs fois et donna lieu à la construction d’une médaille pour les interprètes en l’effigie du Père Bressani et pour montrer que la communauté italienne a eu un rôle dans la construction du Canada moderne. En 2009 fut commandée et bénie une statue du Père Bressani d’environ 2,40 m de haut. Elle fit suite à une conférence sur le missionnaire avec Frank Spezzano.
Les célébrations du 400ème anniversaire de sa naissance ont lieu cette année : elles se font sur un temps de plusieurs mois. Une célébration est prévue notamment au Chaminade College School à Toronto en octobre. D’autres ont eu lieu en mai, notamment à Woodbridge.
Voilà en résumé, ce que je pouvais dire à propos de mon mémoire sur ce personnage riche et attachant.

Il y a 400 ans : naissance de François-Joseph Bressani

-Image de présentation de la pièce "Bressani" écrite par Frank Spezzano-


Sources principales : 


BRESSANI Francesco Giuseppe, Relation abrégée de quelques missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, traduit par Félix MARTIN, Montréal, Des presses à vapeur de J. Lovell, 1852.
CAMPEAU Lucien, La mission des Jésuites chez les Hurons, 1634-1650, Montréal, Ed. Bellarmin ; Roma : Institutum Historicum S.I, coll. « Bibliotheca Instituti historici S.I », n˚ 46, 1987.
DESLANDRES Dominique, Croire et faire croire: les missions françaises au XVIIe siècle (1600-1650), Paris, Fayard, 2003.
LATOURELLE René, François-Joseph Bressani: missionnaire et humaniste, Québec, Bellarmin, 1999. LEMAITRE Nicole, « La mission et le sauvage: huguenots et catholiques d’une rive atlantique à l’autre, XVIe-XIXe siècle : [actes du 133e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Québec, 2008] », Québec, Comité des travaux historiques et scientifiques - CTHS, 2009. PIVATO Joseph, « An Italian Jesuit in Canada: Faith and Imagination in Bressani’s Breve Relatione of 1653 », 2008, http://www2.athabascau.ca/cll/english/faculty/jpivato/bressani.php.VIAU Roland, Enfants du néant et mangeurs d’âmes : Guerre, culture et société en Iroquoisie ancienne, Boréal., Montréal, 1997.
Vincent Decombe


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