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D'après Guy de Maupassant : Mon oncle Jules

Publié le 15 juin 2012 par Dubruel

MON ONCLE JULES

Chaque dimanche, en voyant

Entrer au port le grand navire

Qui revenait d’Amérique,

Mon père, dans un demi-soupir,

Prononçait : « Et si Jules était là-dedans,

Ce serait une surprise magnifique ! »

Mon oncle Jules s’était mal conduit,

Vraiment très mal conduit.

Il avait mangé tout l’argent

De mes pauvres parents.

Jules n’étant qu’un noceur,

On l’avait embarqué pour New-York.

C’est ainsi qu’on agissait alors.

Là-bas, il s’était établi restaurateur.

Il espérait pouvoir dédommager mon père

Mais il n'y arriva pas

Car il ne valait pas

Les quatre fers

D’un chien, comme on dit.

Il nous avait pourtant écrit ceci :

Quand je rentrerai à Etretat

Votre situation changera.

Alors les dimanches, au port,

On s’attendait à le voir

Dès qu’un passager du bord

Agitait son mouchoir.

Ma sœur se fiança le jour de ses vingt ans.

Pour fêter le double événement,

Mes parents avaient organisé

Un petit voyage à Jersey.

Sur le bateau, un matelot en guenilles

Qui préparait des crabes et des étrilles

Attira l’attention de mon père.

Il le regarda un instant faire

Puis a balbutié :

-« C’est singulier

Comme cet homme ressemble à Jules. »

Ma mère, interdite, lui demanda :

-« Quel Jules ? »

Mon père précisa :

-« Mais,…mon frère !

Si je ne le savais pas au-delà des mers,

Je croirais que c’est lui. »

-« Tu es fou. Ça ne peut pas être lui.

Pourquoi tu dis ces bêtises-là ? »

Mais mon père insista :

-«  Va donc le voir. J’aime mieux

Que tu t’en assures de tes propres yeux. »

Quand ma mère revint vers lui, elle tremblait :

-« Va te renseigner, s’il te plait,

Auprès du capitaine. Surtout, pas d’impair !

Qu’il ne nous retombe pas sur les bras ! »

Et le capitaine raconta

A mon père :

-« Je l’ai trouvé à New-York l’an dernier.

Et je l’ai rapatrié.

C’est un vagabond français, un miséreux.

Il avait au Havre, m’a-t-il dit, quelques parents

Mais ne voulait pas retourner chez eux

Car il leur devait beaucoup d’argent.

Il parait aussi qu’il a été riche là-bas. »

-« Ah !...fort bien. Cela ne m’étonne pas ! »

Puis mon père s’approcha de ma mère :

-«C’est bien Jules… Qu’allons-nous faire ? »

-« J’ai toujours pensé

Que ce voleur nous retomberait sur le dos ! »

Afin de ne pas rencontrer

L’oncle Jules, nous sommes rentrés

De Jersey,

Par un autre bateau, celui de Saint-Malo.

Depuis, je n’ai jamais revu le frère

De mon père


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