"La sensation de manque ne vous laisse pas un instant de répit, jamais - elle ne peut pas, ne devrait pas nous lâcher, cette sensation, puisqu'il manque effectivement quelque chose.
Cela n'est pas négatif en soi. Cette part manquante, ce passé manquant, peuvent constituer une ouverture plutôt qu'un vide. Ils peuvent devenir une entrée autant qu'une sortie. Ils sont une preuve fossilisées, la marque d'une autre vie, et même si cette vie vous sera à jamais inacessible, vous pouvez suivre sa trace du bout des doigts, à l'endroit qu'elle aurait pu occuper, et du bout des doigts, apprendre une nouvelle forme de braille.
Les marques sont là, des zébrures saillantes. Lisez-les. Lisez ces blessures. Récrivez-les. Récrivez ces blessures.
C'est pour cette raison que je suis écrivain - je ne dis pas que j'ai "décidé" de l'être ou que je le suis "devenue". Ce n'était pas un acte volontaire ni même un choix conscient. Pour éviter la trame serrée du récit de Mrs Winterson, je devais être capable de faire mon propre récit. Mi-réalité mi-fiction, voilà les ingrédients qui composent une vie. Et comme dans l'espionnage, il s'agit d'une légende, d'une couverture. J'ai rédigé mon issue de secours."
Extrait de Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? de Jeannette Winterson - Mai 2012