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Crie aussi fort que tu peux

Publié le 10 mars 2008 par Dje
Crie aussi fort que tu peux

C'était en 1997, l'âge d'or du hip-hop, il y a plus de dix ans déjà. IAM et la Fonky Family, fers de lance du rap de l'époque, écrivaient sans ambages : "FF de Mars représente la résistance, fais courir le bruit je nique la musique de France". C'est radical peut-être, exagéré sûrement, mais force est de constater que dix ans après le constat garde une grande part de vérité. Il n'est pas vraiment question de critiquer des auteurs de musique bourrés de talent qui pullulent dans l'hexagone, évoluant en parallèle dans les milieux underground et distillant des œuvres aussi remarquables qu'elles sont ignorées. C'est bien sûr l'industrie du disque qui est visée ici, massive, indigeste, dictant les règles de l'offre selon les seuls critères de la demande d'un grand public adepte de mélodies bon marché et de chansons formatées. Cette tristesse infinie d'un marché en pleine stagnation est bien sûr symbolisée par les victoires de la musique qui ont eu lieu samedi soir.

Comment peut-on encore oser parler de victoire au vu de ce spectacle quelconque ? Qui ressort vainqueur de cette cérémonie ? Est-ce les nouveaux guignols de la chanson, emmenés par Michaël Youn et Koxie, qui ont compris qu'il suffit de très peu pour vendre des disques, quitte à se moquer du public qui continue d'acheter leurs singles insipides sans se rendre compte qu'on les prend pour des billes ? Ou bien les majors qui voient leurs poulains récompensés dans une gigantesque hypocrisie, et qui sont même - comble de l'incompréhension - publiquement remerciées par Abd-Al-Malik, pourtant représentant d'un milieu artistique profondément indépendant et oublié des maisons de disque pendant des années ? Je reste sans voix devant un tel étalage de pauvreté artistique... Heureusement des talents, des vrais, sont toujours là pour rappeler certaines vérités, comme IAM (encore eux), Thomas Dutronc ou Yaël Naïm. Et on n'est toujours pas à l'abri d'agréables surprises telles que Hocus Pocus, dignes détenteurs d'un savoir-faire mêlant avec justesse et harmonie musique urbaine, arrangements jazzy et cuivres puissants. Mais à coté de ça, le désert ou presque...

L'appel de la FF en 1997 est toujours d'actualité en France, mais alors que dire des cris de désespoir venus d'Allemagne ? Oui, vous voyez de qui je veux parler... Tokio Hotel, boys band prébubère de pseudos-rockeurs qui déchaîne la folie des groupies outre-Rhin et dont le phénomène dépasse désormais allègrement les frontières. On en vient même à les considérer comme les ambassadeurs de la culture allemande à l'étranger, c'est pour dire ! Honnêtement, en prenant le temps de s'y intéresser, leur musique n'est pas aussi inécoutable qu'elle en a l'air, en tous cas pas plus que certains victoirisés samedi soir. C'est juste nul, vide, pathétique. Mais en même temps très fort, car ces quatre jeunes rebelles du dimanche ont réinventé un concept ancestral, celui du rock commercial. Un chanteur qui tente de cacher sa voix maladroite en hurlant, un bassiste qui ne sait jouer que trois notes en boucle, un batteur qui sue sang et eau derrière sa grosse caisse, le tout sublimé par des guitares saturées et indigestes. C'est simple, efficace, et ça marche.

Plus qu'un groupe de musique, Tokio Hotel c'est surtout un phénomène de foire qui a tout compris du pouvoir de l'image et du marketing. Le paradoxe des révoltés de pacotille qui profitent du système capitaliste n'étonne plus personne tellement il est éculé, et dans ce domaine on touche au sublime. L'indigence des thèmes abordés n'a d'égal que les réactions enthousiasmées d'une jeunesse visiblement perdue criant au génie. Allez, juste pour le plaisir, un petit extrait très revendicatif : " Tu te lèves et on te dit où tu dois aller / Quand t'y es on te dit même ce que tu dois penser / Merci, C'était encore une super journée " Rien à dire, c'est profond, sensé, réfléchi. Vous voyez en fait, c'est facile la musique ! Même plus besoin de passer à la Nouvelle Star ou autres, c'est se compliquer la vie.

Alors, Tokio Hotel doit-il être jugé coupable de régression mentale massive sur la jeunesse ? Pas si sûr... Selon des études sérieuses, l'engouement pour le groupe a entraîné une remise au goût du jour de l'apprentissage de l'allemand au collège, de plus en plus délaissé ces dernières années. Des classes d'allemand seconde et même première langue ont rouvert sous l'impulsion de fans avides de comprendre les paroles si intéressantes de leur groupe favori. Avant on faisait allemand pour être dans des bonnes classes, aujourd'hui c'est pour se retrouver entre groupies décervelées et déconnectées de la réalité. Décidément MC Solaar avait bien raison quand il clamait en 1995 "les temps changent". On devrait donc au final remercier le quatuor allemand qui encourage au sérieux nos chers petits collégiens. Vous voulez une autre preuve de leur bonne foi en matière de scolarité ? Le concert du 20 juin à l'Olympia (quelle tristesse pour cette salle que je croyais respectable) a été reporté pour cause de ... baccalauréat. Les Tokio Hotel ne veulent pas être responsables de l'échec scolaire de leurs fans dont les examens se terminent le jour même. C'est beau la solidarité adolescente.

Pourtant, dans la catégorie "Faites ce que je dis mais pas ce que je fais" la victoire revient sans conteste au groupe allemand. Savez-vous ce que ces quatre bons petits gars ont fait dès leur cursus scolaire terminé ? Laissons Bill le chanteur nous le dire délicatement : " nous avons immédiatement déchiré et brûlé tous nos livres et nos cahiers " Oh le bel exemple ! Manifestement ils n'ont pas dû bien suivre tous leurs cours, car sinon ils se rendraient compte de ce que signifie un autodafé aux yeux de l'histoire. A l'heure où l'Allemagne continue encore de se défaire de son lourd passé en combattant becs et ongles les quelques groupes néo-nazis qui subsistent, voilà une déclaration dont on se serait allègrement passé.

Ah mais suis-je bête, j'avais oublié que ces quatre pseudo-musiciens étaient des rebelles, symboles d'une jeunesse anarchiste et révoltée. Cet acte est en fait tout simplement une provocation gratuite. Tout s'explique... Et dire que j'ai pu penser l'espace d'une seconde qu'ils étaient juste profondément stupides...


(C'est donc ça nos vies... 10.3.2008)

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