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Conte et mémoire nationale

Publié le 20 mars 2008 par Ffievre
J'ai vu tout à l'heure à la librairie Le Livre (à Tours) qu'existait un livre sur les "lieux de mémoire" russes... dans la droite ligne de la célèbre trilogie dirigée par Pierre Nora sur les lieux de mémoire qui constituent l'identité nationale française. Le même exercice est donc tenté par Georges Nivat, qui dirige ce premier tome sur l'identité nationale russe. Trois volumes sont prévus, de la même manière que pour l'ouvrage dirigé par Pierre Nora. Le découpage a néanmoins l'air complètement différent, puisque Les lieux de mémoire étaient séparés de manière thématique (I, La République, II, La nation, III, Les France), alors que la trilogie dirigée par Georges Nivat commence par aborder la question de la géographie russe. Je ne sais pas de quoi seront constitués les deux tomes suivants, mais nul doute qu'on parlera à un moment ou un autre, sans doute, des contes d'Alexandre Afanassiev. De même que Maria Tatar avait rédigé un article sur les contes de Grimm dans l'ouvrage équivalent pour l'identité nationale allemande, dirigé par Etienne François et Hagen Schulze.
J'attends avec impatience qu'un ouvrage semblable soit publié sur l'identité nationale anglaise, mais je crois que je peux attendre longtemps. L'identité anglaise est nettement plus compliquée à mettre en place et en valeur, comme le montre Krishan Kumar dans son livre The Making of English National Identity: une perpétuelle confusion existe entre l'identité anglaise et l'identité britannique, ce qui ne facilite pas les travaux historiques.
L'ouvrage de Krishan Kumar a le mérite de mettre les choses au clair, mais il est récent, et je ne crois pas trop me tromper en affirmant que l'identité anglaise a eu bien du mal à se construire en face de l'identité britannique. Pour prendre un exemple que je connais plutôt bien, celui des contes populaires, il n'existe pas de recueil en Angleterre qui soit équivalent à celui des Grimm en Allemagne, ou à celui d'Afanassiev en Russie. En France, les contes de Perrault, qui à l'origine ne sont pourtant pas rassemblés dans la perspective d'une collecte folkloriste d'antiquités nationales, remplissent un peu le rôle de "classique national" du conte populaire (une véritable anthologie de contes populaires a depuis pris le pas pour les spécialistes sur le recueil de Perrault: c'est l'ouvrage de Paul Delarue et de Marie-Louise Tenèze). Mais en Angleterre, aucun recueil de contes ou de légendes populaires ne remplit ce rôle. A part, bien évidemment, dans les "marges" celtes du Pays de Galles, de l'Irlande et de l'Ecosse, mais on aborde alors l'identité britannique, ce qui est une toute autre histoire, où l'identité celte se mêle, justement, aux apports culturels des peuples germaniques qui s'installent au Ve siècle en Grande-Bretagne, installation qui ouvre la période "anglo-saxonne" de l'histoire anglo-britannique.
L'identité anglaise coïnciderait-elle avec cette culture anglo-saxonne? Le problème est que, occupée à étendre son empire, la couronne anglaise s'est peu attachée, avant la toute fin du XIXe siècle, à construire une identité nationale spécifiquement anglaise. Britannique, oui, mais anglaise? Du coup, la grande période de collecte de contes populaires qu'était le XIXe siècle n'a pas vu de collecte de contes véritablement anglais. Quelques légendes et de nombreux mémorats, mais très peu de contes à proprement parler ont été collectés et figés par écrit. Pas de quoi, en tout cas, monter une collection semblable à celle des Grimm ou d'Afanassiev. En conséquence de quoi, très certainement, l'identité nationale anglaise se construit autre part que dans ses contes et légendes. Affaire à suivre...

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