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La révolution du principe de participation du public

Publié le 17 juin 2012 par Arnaudgossement

code de l'environnement.jpgLes maîtres d’ouvrage, constructeurs et porteurs de projets sont aujourd’hui en présence d’une extension tout à fait remarquable du sens et de la portée du principe de participation du public. Inutile de s’en réjouir ou de le regretter : l’important est d’analyser précisément cette révolution de la participation et les enjeux du développement d’une démocratie participative, pour s’y adapter, sécuriser les projets, améliorer leur acceptabilité et mieux protéger l’environnement. Dans ce contexte, force est de constater que la contribution du Juge à l’émergence d’une démocratie participative est aujourd’hui déterminante.


Lors du colloque organisé ce 15 juin 2012 à la Cour administrative d’appel de Paris par l’Université Paris I et consacré à « La Charte de l’environnement au prisme du contentieux, de nombreux intervenants – magistrats, professeurs, avocats haut fonctionnaires - ont pu souligner que l’interprétation et l’application par le Juge du principe de participation constitue sans doute l’une des conséquences les plus remarquables de l’entrée en vigueur de la Charte de l’environnement à la suite de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005.

Voici l’une des conclusions d’un colloque de très grande qualité et dont les actes devraient être publiés prochainement dans la revue juridique « Environnement et Développement durable » d’ici à la fin de l’année. 

Sans attendre, il est utile de revenir sur cette mutation du droit de l’environnement qui suscite souvent l’inquiétude parmi les opérateurs et les services instructeurs. Une mutation considérable qui impacte fortement les processus de décisions, les conditions du pilotage des projets et le risque d’annulation devant le Juge.

Le principe de participation : droit d’accès à l’information et association du public

Il n’est pas nécessaire de rappeler ici toutes les étapes qui ont mené à l’inscription du principe de participation du public en droit international, européen puis interne. D’excellents ouvrages, fascicules et articles ont d’ores et déjà procédé à cet exposé. 

Soulignons simplement que le principe de participation est aujourd’hui inscrit à l’article L.110-1 du code de l’environnement, lequel procède initialement des dispositions de la loi « Barnier » du 2 février 1995 : 

« I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.

II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

(…)

4° Le principe de participation, selon lequel chacun a accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses, et le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. »

A la lecture de cette disposition, il apparaît que le principe de participation est constitué de deux composantes : 

  • D’une part, il suppose le respect du droit à l’information selon lequel chacun doit avoir accès « accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses ». Il s’agit bien d’un droit d’accès et non d’un droit à l’élaboration de l’information qui serait bien sûr plus ambitieux mais aussi plus coûteux et plus contraignant pour l’administration. Ce droit d’accès est un préalable indispensable à l’association du public à la décision environnementale
  • D’autre part, il impose une « association » du public « au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire ». 

Il convient de souligner que le public – terme très large – doit être « associé » à l’élaboration des projets ayant une incidence importance sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ». Ce qui concerne notamment tous les projets d’infrastructures linéaires tels que les routes, ponts et barrages. Ce qui opère donc un rapprochement entre les droits de l’urbanisme, de l’expropriation et de l’environnement 

La généralisation de la participation du public : le cas des zones de développement de l’éolien terrestre

Il importe de souligner que le principe de participation n’a pas attendu son inscription au sein de la Charte de l’environnement pour produire des effets procéduraux très concrets. Le Conseil d’Etat a ainsi pu vérifier la conformité d’un arrêté préfectoral de création d’une zone de développement de l’éolien au principe de participation tel qu’inscrit à l’article L.110-1 du code de l’environnement. 

Rappelons que la procédure de création d’une zone de développement de l’éolien a été créée par une loi du 13 juillet 2005, laquelle ne prévoit aucune participation du public, ni aucune disposition réglementaire d’application le permettant. Pourtant, considérant que la décision de création d’une ZDE peut avoir une incidence sur l’environnement, la Haute juridiction procède au contrôle du respect du principe de participation par la décision objet du recours. L’arrêt n° 318067 « association Rabodeau environnement » rendu le 16 avril 2010 précise : 

« Considérant, en troisième lieu, que le 4° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement consacre Le principe de participation, selon lequel (...) le public est associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. ; qu'il ressort des pièces du dossier que, préalablement à son édiction, la décision attaquée a fait l'objet d'une concertation avec le public, comportant l'organisation de réunions et de débats publics, ainsi que la tenue d'un comité de pilotage regroupant notamment des élus et des associations de protection de l'environnement ; que, par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le principe de participation n'a pas été méconnu (…) »

Cet arrêt est d’autant plus intéressant que le Conseil d’Etat donne une indication sur la portée du principe de participation : il serait respecté en cas d’organisation de réunions publiques, de débats publics et d’un comité de pilotage. Depuis lors, des tribunaux administratifs, saisis de recours tendant à l’annulation d’arrêtés portant création de ZDE ont pu à leur tour contrôler l’organisation de ces instants de participation. Le Tribunal administratif de Grenoble a pu aller plus loin encore en contrôlant la régularité de la composition du comité de pilotage mis en place pour assurer la participation du public préalablement à la création d’une ZDE.

Ainsi, force est de constater que le Conseil d’Etat a pu contrôler l’application du principe de participation sur un fondement législatif et non constitutionnel. Le juge administratif peut alors en déduire des conséquences très concrètes, s’agissant des conditions d’association du public à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement.

L’inscription du principe de participation au sein de la Charte de l’environnement

La Charte de l’environnement a été « adossée » à la Constitution par la loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement. Le principe de participation y est inscrit à l’article 7 : 

« Art. 7. - Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement."

Aux termes de cet article, le principe de participation conserve ses deux composantes : droit d’accès à l’information environnementale et participation à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement. 

Le fait que cet article 7 fasse état d’un renvoi à la loi pour la définition des « conditions et limites » d’application du principe de participation ne signifie nullement que l’absence de loi en paralyse la mise en œuvre. La référence à la loi ne fait pas de son vote une condition d’entrée en vigueur de cet article 7 de la Charte. 

Reste qu’au cas présent, les « conditions et limites » de l’application du principe de participation, tel qu’inscrit à l’article 7 de la Charte de l’environnement ont été définies à l’article 244 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. La rédaction de cet article 244 procède principalement du souci de l’administration de prévenir une « inflation » des procédures de participation. Force est de constater que toute décision administrative, directement ou non, d’avoir tôt ou tard une incidence sur l’environnement. Dès lors, c’est l’intégralité du droit administratif  que le principe de participation est susceptible de bouleverser. 

La définition des « conditions et limites » du principe de participation par la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010.

L’article 244 de la loi du 12 juillet 2010 a été codifié à l’article L.120-1 du code de l’environnement dont il faut étudier très précisément le contenu. Ce texte précise tout d’abord : 

« Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics. » 

On remarquera ici que les « conditions et limites » de l’application du principe de participation sont ici fixées s’agissant des « décisions réglementaires de l’Etat et de ses établissements publics. Les décisions prises par les collectivités territoriales ne sont pas ici concernées. 

L’article L.120-1 du code de l’environnement précise ensuite :

« I. ― Sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable, les décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu'elles ont une incidence directe et significative sur l'environnement. Elles font l'objet soit d'une publication préalable du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, selon les modalités fixées par le II, soit d'une publication du projet de décision avant la saisine d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause, selon les modalités fixées par le III. » 

En premier lieu, il convient de noter que seules les décisions publiques qui ont « une incidence directe et significative sur l’environnement » sont ici soumises au respect du principe de participation. La portée du principe de participation tel qu’inscrit à l’article 7 de la Charte de l’environnement a donc été « encadrée » sinon réduite. 

Notons que ces décisions doivent faire l’objet : 

  • Soit d’une publication préalable par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations ; 
  • Soit d'une publication du projet de décision avant la saisine d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause.

La conformité à la Constitution, c’est-à-dire à la Charte de l’environnement n’est à mon sens pas certaine tant elles opèrent une réduction assez significative de la portée du principe de participation. On le verra ci-après : le Conseil constitutionnel a déjà indiqué que la seule publication par voie électronique d’un projet de décision administrative ne correspond pas aux exigences du principe de participation. 

La publication par voie électronique du projet de décision ayant une incidence sur l’environnement

Aux termes de la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010, le législateur a entendu, s’agissant de l’élaboration des décisions réglementaires, « encadrer », certains diront « réduire » la portée du principe de participation

Le législateur a ici « réduit » la participation du public à son information par voie électronique sur les projets de décisions. Deux procédures d’information par voie électronique ont été créées, selon que le projet de décision doit être soumis ou non à un organisme consultatif « comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause ».

En premier lieu, l’article L.120-1 du code de l’environnement, issu de l’article 244 de cette loi, dispose : 

« II. ― Le projet de décision, accompagné d'une note de présentation, est rendu accessible au public pendant une durée minimale de quinze jours francs. Le public est informé de la date jusqu'à laquelle les observations présentées sur le projet seront reçues. Le projet ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai de deux jours francs à compter de cette date. 

Lorsque le volume ou les caractéristiques des documents ne permettent pas leur publication par voie électronique, l'information mise en ligne comprend un résumé du dossier ainsi qu'une indication des lieux et heures où l'intégralité du dossier peut être consultée. » 

On remarquera ici que la publication par voie électronique des projets de décision peut se limiter à une mise en ligne d’un résumé du dossier et d’une indication du lieu physique où il peut être consulté. A l’heure où les moyens informatiques permettent le stockage dématérialisé de volumes considérables d’informations, cette disposition apparaît presque anachronique. D’un point de vue technique, on voit en effet mal pour quel motif une présentation papier serait plus simple qu’une présentation électronique d’un dossier épais.

En second lieu, l’article L.120-1 du code de l’environnement prévoit aussi le cas où l’information par voie électronique précède la consultation d’un organisme « comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause » : 

« III. ― Le projet de décision fait l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique, avant transmission à un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause, dont la consultation est obligatoire en vertu d'une loi ou d'un règlement. 

La publication du projet est accompagnée d'une note de présentation. Le projet ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai de quinze jours francs à compter de la date de publication du projet ». 

Reste que cette réduction du principe de participation à une simple information/consultation par voie électronique ne correspond pas nécessairement aux exigences du principe de participation. 

L’information par voie électronique est-elle conforme au principe de participation inscrit dans la Charte ?

Comme j’ai pu l’écrire ici en commentant la décision n° 2011-183/184 rendue le 14 octobre 2011 par le Conseil constitutionnel, à la suite d’une QPC défendue par France Nature Environnement : information n’est pas participation. 

Rappelons que l’association auteur de cette QPC soutenait que les dispositions de l’article L.511-2 du code de l’environnement, relatif à l’élaboration des arrêtés de prescriptions générales propres aux ICPE soumises au régime de l’enregistrement sont contraires au principe constitutionnel de participation, faute pour le législateur d’avoir prévu et organisé l’association du public à la production de ces décisions. 

La décision n° 2011-183/184 précise : 

« 8. Considérant que les dispositions contestées prévoient que les projets de décrets de nomenclature ainsi que les projets de prescriptions générales applicables aux installations enregistrées font l'objet d'une publication, éventuellement par voie électronique ; que, toutefois, dans sa rédaction soumise au Conseil constitutionnel, le second alinéa de l'article L. 511-2 ne prévoit pas la publication du projet de décret de nomenclature pour les installations autorisées ou déclarées ; qu'en outre, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en oeuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ».

Aux termes de cette décision, le Conseil constitutionnel a, non seulement relevé que le disposition querellée de l’article L.511-2 du code de l'environnement ne prévoit pas d’information sur le projet d’arrêté qu’elle vise, mais, en outre, que les dispositions relatives à l'information du public ne peuvent avoir trait à la participation du public. Enfin, le Conseil constitutionnel a pu ainsi rappelé qu'il appartient au législateur lui-même de définir les conditions de la participation du public. 

A noter : le Conseil constitutionnel a été récemment saisi de deux autres QPC relatives à la conformité d’autres dispositions du code de l’environnement à l’article 7 de la Charte de l’environnement. 

Notons que l’une de ces deux saisines est d’autant plus intéressante qu’elle est réalisée à la demande, non d’une association de défense de l’environnement mais d’une fédération départementale de défense des intérêts des exploitants agricoles. Ce qui démontre bien que la participation du public ne se limite pas à la participation des militants écologistes mais concerne tout citoyen. 

Conclusion

Si le principe de précaution a focalisé l’attention lors des débats parlementaires préalables à l’adoption de la Charte de l’environnement, c’est aujourd’hui le principe de participation qui, grâce à « l’activisme du juge » - pour reprendre une expression fréquemment entendu lors du colloque précité du 15 juin 2012. Le principe de participation est dès lors susceptible de constituer un puissant levier pour faire émerger une démocratie plus participative. La marge de progrès de nos institutions en la matière est considérable si l’on veut conserver comme étalon la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement faite à Aarhus le 25 juin 1998.

Les maîtres d’ouvrage, les constructeurs, les porteurs de projets, les opérateurs industriels, bref, toutes celles et tous ceux dont l’activité est susceptible de porter atteinte à l’environnement ne doivent pas craindre mais analyser, comprendre et considérer cette évolution démocratique comme une formidable opportunité pour mieux configurer, mieux expliquer, mieux communiquer et mieux prévenir le risque contentieux. Certes, les enquêtes publiques n’attirent pas toujours grand monde et le niveau des débats publics n’est pas toujours suffisant. Certes, il a pu arriver que l'objectif d'une meilleure participation du public soit synonyme de complexité accrue du droit ou d'incertitude juridique. Reste que nous n’en sommes qu’aux balbutiements de cette démocratie participative dont le développement durable a certainement besoin.

Mieux vaut prendre le train en marche.

Arnaud Gossement

Avocat associé

http://www.gossement-avocats.com


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