Der Vorleser Traduction : Bernard Lortholary
Extraits Personnages
Avant toute chose, je tiens à dire que je n'ai pas compris pourquoi l'on n'avait pas traduit le titre tout simplement par "Le Lecteur." En effet, dans certains milieux, les dames de compagnie servaient aussi de "lectrices." Alors, pourquoi ne pas adopter ici le masculin puisque, effectivement, le héros sert bien de lecteur à sa maîtresse ? ... Enfin, passons.
Le style est simple, fluide, les chapitres ramassés et l'auteur va droit à l'essentiel. Mais alors, question personnages et surtout thèmes choisis, quelle complexité et plus encore quelle ambiguïté, mes aïeux !
Oui, l'on peut dire que l'auteur soulève ici la question de la perception des agissements du Troisième Reich par les générations qui n'ont pas vu les Nazis directement à l'oeuvre. Maintenant, soutenir qu'il s'agit là du seul thème traité avec, bien sûr, l'inévitable Shoah, c'est tout de même un peu fort de café !
Déjà, le jugement que porte sur les faits dont Hanna s'est rendue coupable l'homme qui l'a jadis aimée est plus qu'ambigu. Ces faits, il les réprouve, certes - qui ne les réprouverait ? - mais il laisse aussi la porte ouverte à un effort de compréhension de ces actes, compréhension qui ne les justifie en rien, cela va de soi. De temps à autre, comme il semble redouter, en tant qu'Allemand - et on le comprend ! - d'écrire un mot de trop ou de travers sur la question, Schlink sort une ou deux phrases hautement vertueuses et délaie consciencieusement sa sauce. Ca a pour principal effet de rendre son propos encore plus ambigu mais - à moins qu'ils ne soient complètement idiots ou naïfs - ça ne convaincra que ceux qui veulent bien se laisser convaincre.C'est d'ailleurs en cela que "Der Vorleser" est intéressant et même, à certains moments - comme l'instant où Hanna demande au juge : "Et vous, qu'auriez-vous fait ?" - carrément passionnant - et oh ! combien dérangeant.
Pourtant, elle n'a pas l'air bien dangereuse, au premier abord, cette histoire d'amour entre un adolescent de quinze ans (Michael Berg], qui est aussi le narrateur) et une femme de trente-six ans (Hanna Schmitz.) Un jour, Hanna disparaît. Comme ça, brusquement, sans rien dire. Comme Michael commençait alors à s'intéresser à des filles de son âge, ça le soulage plutôt qu'autre chose : c'est la vie, pourrait-il dire.
La deuxième partie s'ouvre vraisemblablement au début des années soixante, à l'époque des derniers grands procès des anciens collaborateurs des Nazis. Michael, maintenant étudiant en droit et jeune Allemand conscient du fardeau qui pèse sur la génération de ses parents, assiste régulièrement à ces procès. Or, un jour, il aperçoit Hanna parmi les accusés. Une Hanna de quarante-trois ans maintenant, donc un peu plus lourde, un peu changée mais c'est bien elle tout de même. Au fil des audiences, le jeune homme apprend qu'elle a été gardienne dans divers camps de concentration.
Plus tard - une vingtaine d'années à peu près - Berg demandera à Hanna si, pendant leur liaison, dans ces moments où ils étaient dans les bras l'un de l'autre, il lui arrivait de penser à cette époque-là de sa vie. "Non", répondra-t-elle simplement.
C'est qu'Hanna n'a pas rejoint l'administration nazie par désir d'exercer son sadisme et sa méchanceté. Non, à l'époque, le responsable de l'usine où elle travaillait voulait la faire passer contremaître. Et Hanna a préféré laisser tout tomber et "se réfugier", en quelque sorte, dans cette carrière de garde-chiourme : tout ça pour ne pas avoir à avouer qu'elle était analphabète.
C'est là le grand, le terrible secret d'Hanna. C'est ce qui la poussait à demander à son jeune amant de lui lire à haute voix les livres que lui-même aimait et connaissait. C'est ce qui la poussait, dans les camps, à choisir, toujours parmi les plus faibles, parmi celles qui n'auraient pas résisté aux travaux forcés, une déportée capable de lui faire chaque soir la lecture.
Mais les juges ne le sauront jamais - Berg, qui comprend enfin durant le procès, ne sait comment en parler au président et, finalement, en dépit de sa conscience qui le tourmente, se résigne à ne rien dire. Impuissant et comme anesthésié - un mot qui revient souvent sous sa plume - il voit même Hanna accepter en silence d'endosser la responsabilité d'un rapport mensonger sur un crime de guerre alors que, ne sachant ni lire, ni écrire, elle aurait été bien incapable de le rédiger. Cet aveu, bien sûr, alourdira sa peine : dix-huit ans de prison.
Devant une intrigue apparemment si simple, le lecteur, qui ne s'y attendait guère, n'arrête pas de se poser des questions. Et la principale, la voici :
Le personnage d'Hanna, qu'on est parfois tenté de qualifier d'"animal" dans le sens de "sain, sans complication, naturel", symbolise-t-il l'Allemand moyen de sa génération, pas plus mauvais qu'un autre finalement mais qu'un concours de circonstances aberrantes, allié sans doute à l'instinct de conservation propre à l'être humain, a contraint à composer avec le gouvernement nazi en espérant que tôt ou tard, celui-ci chuterait ?
J'entends d'ici les arrogants, les sûrs d'eux, les pour ainsi dire parfaits, s'exclamer en un choeur vertueux : "Et le libre-arbitre, alors ?" Et ils auront raison : le libre-arbitre, ça existe ...
... Dommage que le juge qui va condamner Hanna n'ait pas finalement l'air si convaincu de cette existence ...
"Le Liseur" de Bernhard Schlink : un livre ambigu et qui pose les bonnes questions à ceux qui veulent bien ne pas se boucher les oreilles. Si vous êtes de ceux-là, lisez-le. Sinon, rendormez-vous sur votre confort moral : on vous réveillera au prochain arrêt.