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Arthur Haulot, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

LA MAIN COUPEE

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Une main
une main toute seule
une main pour le pain
une main pour l’amour
une main pour le jour qui se lève
et pour l’oiseau qui chante
une main pour cueillir la noisette
et l’offrir à l’enfant
une main pour saisir solidement l’outil
et pour saisir le sein
et pour saisir la vie
une main pour le feu et l’eau et le soleil
une main et ses doigts où le sang coule rouge
au travers de la lampe
une main d’homme
avec tout ce miracle de gestes et de signes
qu’elle contenait pour toute une existence
une main
et ses ongles carrés comme l’était le front
et ses muscles ses veines
et son duvet soyeux pour la joue de la femme
sa force quand soudain elle devenait poing
et laissait éclater la colère de l’homme
une main rien qu’une main
vivante c’était hier
Aujourd’hui
ce n’est plus qu’un débris rejeté par le sable
une épave entre cent
ses os nus font plus mal à l’âme qu’un long cri
Tout autour de la main il y a la clairière
et ces hommes et ces femmes qui pleurent sans bouger
leurs mains à eux vivantes
autour de la clairière il est un paysage
et le monde s’étend tout autour de la main
le monde sans chaleur sans foi et sans amour
un monde où pousseront tout à l’heure de terre
des millions infinis d’autres mains d’autres morts
(Mauthausen)
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RECOMMENCER LA MORT

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J’attendrai patiemment. Elle m’est familière
Elle me fut donnée un jour lointain déjà
au cœur de la Bavière baroque hérissée
des barbelés promis aux couronnes des Rois.

J’ai vécu ma dernière nuit au face à face.
Tu avais mon visage et mon sang était tien.
Nous avons fait la paix. Nous attendions ensemble
l’aube à venir. Et l’aube vint. Tout un ciel à jouir
me fut donné encore sans qu’on sache pourquoi.
Un ciel, un jour, une respiration
plus ample que la mer. Tu es partie je crois
sur la pointe des pieds. J’épiais ton retour.
Mon corps prenait d’autres mesures
mon cœur un autre battement.

Je te sais grâce
De chaque instant vécu depuis ce rendez-vous.
Tu aimes, me semble-t-il, la musique du Verbe.

(repris dans C’était au temps des barbelés, Couleur livres, Charleroi, 2005)
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DERIVES DU SANG

Je suis, dit l’homme, comme un volcan en marche
J’ai dans mon ventre le feu grondant de la terre
Mes jambes ont la force du basalte et du granit
Dans mes veines rougeoient les futurs incendies
Avec le cri des ibiscus perchés aux plis de mes oreilles
Des forêts se déploient de mes épaules à mes reins
Mes bras ont la lente puissance du fleuve qui coule en deçà des monts
et mes yeux sont perçants comme l’éclair d’orage
Ma poitrine s’élève et s’abaisse avec le vent
Avec les nuages du matin, avec le battement d’ailes des aigles au départ
J’ai des milliers de truites dans le sang de mes veines
et des appels d’oiseaux parcourent sans arrêt les branches de mes mains
Mais c’est au creux le plus profond de mon épaule mâle
là où se nouent les racines de l’être et de la mort
que brûle l’intransigeant désir de ton corps de femme
C’est de là que jaillit
avec la force délectable irraisonnée des catastrophes
cette lave d’amour dont j’inonde ton cœur
ce feu liquide à ravager ta chair
pour qu’éclate la fulgurante floraison de ta salive
où roulent des millions d’étoiles.
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JE NE VEUX PAS QUITTER TA MAIN

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C’est avec la fraîcheur de source de ta paume
que je veux avancer le plus, le plus loin
plus loin qu’il me sera par les dieux accordé
de vivre et de lutter
tu es la joie plus haute de mon âme,
le feu plus pur de mon combat, de mon envie
de ma volonté de roc et de roseau
d’emmener l’homme vers l’avenir

Je ne veux pas quitter ta main

S’il devait advenir que tu me laisses sans cette joie
qui coule dans mon sang à remonte courant
vers le centre lui-même, et l’âme, et l’espérance
c’est le sens impalpable de ma destinée
qui s’assécherait
comme le ruisseau détourné de sa source

Je ne veux pas quitter ta main

J’ai besoin de l’amour quoi sourd à chaque instant
de ce creux de ta paume,
de la pointe des doigts,
du destin ignoré des lignes arabesques
tracées à même peau pour dire le destin

Je ne veux pas quitter ta main

Tant que j’aurai ta main dans la mienne soudée je serai le lutteur ironique et puissant
s’imaginant peut-être incurver des données
du malheur des humains
je serai celui-là qui tient haute la tête
quand les vents les plus noirs soufflent sur la forêt,
quand le cœur s’épouvante aux colères des dieux
Je serai celui-là qui sait s’amenuiser
jusqu’à l‘ombre de soi
mais tient le seul filin qui rattache la terre
à l’espoir du matin .

Je ne veux pas quitter ta main

Ta main m’est talisman de durée et de rêve,
certitude opposée à tous les démentis
à toutes les faiblesses,
à tous les abandons.
Pour tout ce qui m’exalte et qui me justifie
pour tout ce que je veux être encore demain.
pour ce monde à jamais à toujours découvrir
pour ces espoirs jetés en avant du malheur

pour cette flamme encore à brûler dans mes veines
pour ce chant espéré attendu et voulu
pour cette simple foi de charbonnier candide
pour cet amour d’aimer qui emporte mes pas

Je ne veux pas quitter ta main.

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JE T’AI PRISE A PLEINES MAINS

Je t’ai plantée
sur la dixième marche de l’escalier cérémoniel
et je t’ai confiée à la volonté de tes bras.
Alors
ton corps s’est dénudé sous la très courte robe
Nous avons commencé
à nous élever vers le zénith
Je portais ce corps appuyé sur la seule force de mes regards
Il devenait lave brûlante qui te faisait fermer les yeux de douleur et de plaisir
A chaque marche que touchait ton pied
mon sang bondissait plus fort au nœud de tes tempes
et le soleil ne pouvait rien contre le rayonnement de ma brûlure à pleine peau.
Je t’ai hissée ainsi
à la pointe de mon désir.
Condamné à sa trajectoire de flèche
le tien brillait comme une étoile rose sur le sombre du ciel.
Quand nous sommes arrivés sur le palier suprême
celui d’où les dieux regardent et jugent les hommes
il y avait autour de nous une telle lumière
que j’ai entendu
dans le bourdonnement du sang à mes oreilles
l’approbation heureuse du grand Quetzacoatl.

(Poèmes d’Amour, Couleur Livres, Charleroi 2006)

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FRAICHEUR

Toi qui portes le ciel au creux vert de tes branches
Ton corps creuse dans l’air une trace d’amour
La ville est ce matin plus claire par tes lèvres
Tes seins ouvrent la voie à de nouveaux bonheurs
Le printemps a frémi sous cette marche altière
Au toucher de ta main s’est rafraîchi mon cœur.

(Plaisirs d’amour, éditions Vie Ouvrière, Bruxelles, 1987)

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MON INFANTE

Mon infante ma tour ma hautaine chanson
mon cantique vivant mon horizon ma fête
mon soleil nouveau-né ma plage infinissante
mon clocher de plein vent ma rassurante paix
ma passion mon élan ma tornade ma joie
j’atteins à travers toi aux limites du monde
aux limites de Dieu, aux limites du sang.

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JE VEUX T’APPRENDRE

Je veux t’apprendre à mâcher les mots.
C’est un jeu d’Homme seul
et je sais ta solitude.
Une syllabe, ou deux, ou trois,
rarement quatre,
et te voici la bouche pleine
de soleil et de mer
de joie et de chagrin
d’espoir et d’hébétude.
Tu mâches lentement,
avec soin. Prends ton temps.
Il faut reconnaître le goût d’une sonate
ou le frissellement léger d’un clavecin
ou le son doré de la flûte
la rondeur du hautbois
l’éclat de la trompette.
Mais tout cela n’est rien.
Au-delà de la soie ou du chanvre des mots
de leurs vulgarités et de leurs harmoniques
il faut subtilement trouver le goût du sang
vie et mort emmêlées
sans quoi même la mer se vide de son âme.
Alors seulement,
avec cette sève sur la pointe des dents
en emportant l’espoir des matins délivrés
tu pourras avancer dans la nuit de la race.

(Passions, Anthologie 1960-1996, Le Cri, Bruxelles, 1999)


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