[Critique] LA VIE D’UNE AUTRE de Sylvie Testud

La Sylvie Testud actrice, on la connaît. D’ailleurs, elle ne s’est que peu trompée récemment enchaînant les films qui comptent, que ce soit l’important L’Ordre et la Morale (réalisé par Kassovitz qu’elle emploie ici comme acteur), le touchant Lourdes, ou bien le ténébreux Avant l’aube. Autant dire que l’on attendait son premier long-métrage avec impatience. Optant pour une intrigue fantaisiste, tirée du bouquin de Frédérique Deghelt, et un couple vedette inattendu (Kassovitz et Binoche), elle ose l’atypisme comme terreau premier où faire germer ses idées de cinéaste. Bonne pioche. Au départ donc, il y a Marie, 25 ans, des désirs de carrière et de grand amour plein la tête. Le film commence là où tout se joue : elle y rencontre son futur mari, son futur patron. Une nuit d’amour passe, et là voilà qui se réveille quinze ans plus tard. Elle a 40 ans, un gamin, un divorce en cours, un amant, plus de parents, une entreprise à gérer et une solitude aussi grosse que l’énormité de la chose. Que s’est-il passé ? 
On n’en sait rien, et on s’en fiche, répond Testud, zappant les explications pragmatiques pour offrir un beau bilan de vie et un juste portrait de femme. Si le film réussit à rendre son héroïne, et les péripéties qu’elle traverse, ultra crédibles, c’est grâce à Juliette Binoche, qui confirme- après Elles ou Cosmopolis, que 2012 est bien l’année d'un come-back royal. Intense, tour à tour drôle, décalée, bouleversante, elle sublime son personnage de working woman, rendant ridicules paradigmes sociaux et sérieux des adultes. Ce qui est dit aurait pu paraître bien niais (comme dans L’Age de raison de Yann Samuel), mais Testud contourne les bons sentiments à coups de séquences émouvantes, de répliques bien senties, et de détours judicieux. La vie d’une autre, au final, ne ressemble à rien de connu et se veut anti-comédie romantique dans l’âme, et ce jusqu’à la fin mystérieuse, porte ouverte sur tous les possibles.