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Morceaux choisis - François Mauriac

Par Claude_amstutz

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Fernand regarda autour de lui: c'est bien la chambre où Mathilde est morte. Voici le cadre en coquillages où elle ne sourit pas. Un oiseau grimpeur chante avec sa voix de printemps. Matinée pleine de fumée et de soleil. Pour rejoindre Mathilde, il lui faut remonter des profondeurs de sa vie à l'extrême surface du passé le plus proche. Il essaie de s'attendrir, songeant comme ils ont peu vécu ensemble. Maintenant la bru n'a plus sur la belle-mère l'avantage d'être morte: sa vieille ennemie l'a rejointe dans le troisième caveau à gauche, contre le mur du fond. L'une et l'autre appatiennent désormais à ce qui n'est plus; et Fernand s'irrite de la petite part de sa vie dévolue à l'épouse, alors que la mère couvre de son ombre énorme toutes les années finies.

Il achève de s'habiller, erre au jardin, regarde à la dérobée la fenêtre du bureau où ne l'irritera plus une vieille tête à l'affût. Est-ce parce qu'il ne se sait plus ainsi épié, qu'il éprouve si peu le désir de rejoindre Mathilde? Fallait-il que cet immense amour obsédant de sa mère le cernât de ses flammes pour que, traqué, il descendit en lui-même jusqu'à Mathilde? Voici que l'incendie est éteint. Ce brasier, qui le rendait furieux, soudain le laisse grelottant au milieu de cendres. Il existe des hommes qui ne sont capables d'aimer que contre quelqu'un. Ce qui les fouette en avant vers une autre, c'est le gémissment de celle qu'ils délaissent.

François Mauriac,  Génitrix (coll. Livre de Poche/LGF, 1979)


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