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Brigitte Gyr, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

Extrait de “parler nu”

pourtant… on recommence

la traversée des ondes

coïncidences sous la treille

………………….l’écriture délavée

………………….la douceur du vin

…………………. un chant éteint

dans la mâchoire du chat

clé de sol de l’abîme

non loin de là

une tête flotte

………….dans la rivière

il y a des femmes en crue

sous le bleu de l’air

et cet éclair

qui incise

ce qui demeure en nous

…………………de printemps
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Parler nu. – éditions Lanskine, 2011. – 58 p
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une frontière se tisse de non-dits

une frontière
se tisse de non-dits
qui ne
nous appartiennent pas

comme un sourire
qui durcit les matins
un appel quotidien
dont
la durée se mesure
en années d’enfance

ne pas répondre
jeter le minuscule téléphone
qui nous reliait au monde

mourir au dire

Brigitte Gyr, Parler nu, Éditions Lanskine, 2011, page 31.
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Autre extrait de “Parler Nu”

malgré tout

on continue

on ne sait pas

pourquoi

on ne sait que

rien

on ne veut que …

on continue

parce qu’il n’y a rien

à faire

rien

qu’à…

se rappeler

autrefois

entre nos jambes

écartelé
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Paysage
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un treillis glacé
recouvre la ville
décentre la lumière
c’est dans le clair obscur
que le désir s’en saisit
toute amertume bue sur ses lèvres
jaillit une folie blanche

Tout est désormais gelé
comme au premier jour
tandis qu’oiseaux et arbres mêlés
tombent en eau
demeure
le souffle que recueille
un sexe de chat blanc
étranger à la mort

fidèle à la rondeur
d’un tout premier hiver
sa langue à l’aveugle
fouille l’obscur
un cri d’enfant le sauve
de la noyade

nudité désignée jetée
dans la carrière

ton désir a l’élan rapace
une buée en ternit
le miroir
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À CHACUN SA FOLIE

À chacun sa folie ! La sienne – c’était un peu normal, elle était peintre ! – consistait à représenter le monde dans sa globalité, Par couches successives depuis ses origines glaciaires, à la lumière

bleu acier, lorsque les oiseaux ne chantaient pas – y avait-il même des oiseaux ?- jusqu’au camaïeu imprécis des temps futurs ; puis à le réduire aux dimensions d’une carte postale pour y prendre place

à son tour. Sur ces couches superposées, insidieusement violentes, s’empilaient les toits des maisons de sa mémoire. Elle ne se sentait bien, disait-elle que dans l’infinitésimal et pour pouvoir y loger un jour, il fallait le parfaire aux couleurs les plus vives et les plus immobiles…Elle prenait soin que rien ne dépassât de ce complexe assemblage de la lumière qui éclairait sa carte postale. Certains nœuds se formaient ci ou là à l’articulation du jaune boréal et du bleu méditerranéen mais les nœuds ne sont conçus que pour être défaits et à défaut de savoir les dénouer, elle les camouflait. Une tache rouge sang, et le tour était joué. Elle se réjouissait, à mesure que son œuvre avançait, à l’idée de vivre au cœur de cette toile minuscule où tout ce qui avait été, était, serait… se trouvait déjà replacé dans la plus pure des abstractions. Elle ne savait pas comment cela adviendrait, mais son acharnement à être heureuse lui conférait une grande sûreté. Il lui suffisait de raboter ce qui dépassait – ces forêts du sens trop

débordantes – de retirer avec soin tout sentiment, émotion, humanité, bref ces choses qui font désordre, pour s’y glisser à son tour, dans la perfection, peut-être le bonheur… Les instruments était simples, un pinceau, une lime…Elle avait prévu, également un appareil photo qui témoignerait de l’état du monde avant qu’elle n’y rentre, et quelques pellicules pour parachever l’affaire. Sans témoins à quoi bon vivre !

C’est ainsi que des photos avaient été prises à la tombée du jour pour que l’éclairage soit le plus

favorable et le plus doux possible, aussi doux que l’ocre du ciel au-dessus de la mer avant la nuit.

Elle n’avait pas prévu, en revanche, ce malentendu au lieu le plus incontournable, sur le terme même de la toile. En catimini, quelques formes arachnéennes s’étaient mises, malgré Elle, a participer à de projet si séduisant. Puisqu’il y avait toile, il Fallait bien que ce fut de leur toile qu’il s’agît. Et puisque ce projet était celui de la réduction du monde, leur place y était…Une veuve noire s’était montré particulièrement pugnace, tissant Dans la plus grande discrétion son fil mortel sur ces espaces carrés

et encastrables, lui barrant la route, en quelque sorte ! Pugnace mais légère, au premier plan de la photo, compromettant l’équilibre précaire de ce monde qu’elle pensait habitable. Il n’y avait rien à faire…sa fin inscrite en fils de dentelle ! Et, en négatif, c’était pire. Fil blanc, exacte réplique de celui

d’avant, surgissant de n’importe où, voué à n’importe où ! Âme – ange, mimant l’envol vers la mortalité.

Il ne lui restait plus en somme qu’à déchirer la carte qui lui avait Pris le plus clair de sa vie. Ce qu’elle fit lentement, délicatement, avec le sentiment d’une perte infinie. Puis de reprendre l’œuvre

Dans l’œuf, couleurs aussi vives, aussi immobiles, dimensions plus réduites encore, espoir aussi grand… Juste tempéré de cette Injonction imparable : aucune photo, plus jamais de photos…
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Source Poezibao
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Brigitte Gyr, poèmes

Brigitte Gyr est née en 1945 à Genève où elle a fait ses études, de droit et de sciences politiques et exercé la profession d’avocat.
Depuis 1976, elle vit à Paris où elle est mariée et a une fille.
Elle y travaille en tant que lectrice auprès de maisons d’édition et traductrice (une douzaine de livres traduits, d’anglais, allemand, italien, espagnol) dont une participation à l’anthologie sur la poésie concentrationnaire, parue aux Presses universitaires de Reims, sous la direction d’Henri Pouzol
Depuis 10 ans elle anime des ateliers d’écriture pour adultes et enfants, notamment en zone défavorisée, dans les écoles, les prisons…

Elle participe régulièrement à des lectures et à des festivals en France et à l’étranger (le Festival Franco-anglais de poésie, festival Algérie, Allemagne, Suisse ) et est publiée dans différentes revues : Ralentir travaux, Chariton Review, KoggeBrief, Autre Sud, Le Nouveau Recueil, la Traductière, Triages, Revue des deux Rives…)

Bibliographie
poésie
Comme le feu à l’eau, Ed. Saint Germain des Prés, 1970
Au Décousu de l’aile, dessins Meyer Sarfati, Ed. Jacques Brémond, 1988
Le Sablier distrait, Ed Bois Pluriel, gravures sur bois d’Elbio Mazet, 1990
Lettre à mon double au fond du puits, encres de Nicole Vatinel, Ed Jacques Brémond, 1994
Livres d’artiste, poèmes accompagnés de gravures de Marie Christine Bourven, 1997
Avant je vous voyais en noir et blanc, Ed. Jacques Brémond, 2000, (prix Claude Sernet, 2001)
L’Epave d’une Parole, Signum, avec des dessins originaux de Karl-Heinz Bogner, 2002
Eaux Félées, Signum, photographies de Laurence Toussaint, 2004
La Forteresse de sable, Idée Bleue, 2006 (après une résidence à Rochefort sur Loire), encre de couverture Hervé Borrel
Pour la jeunesse:
4 livres : Quand je serai très très… (avec Hervé Borrel) (Editions du Rocher/Lo Païs d’Enfance
théâtre :
Petit Personnage rouge, créé en 1992, au Couvent des Cordeliers
Chocolat joué au Théâtre Essaïon), 1998
Un égal trois, 2001
Champ de ruines, 2006
un recueil de nouvelles, prêt à la parution, Le temps trieur (certaines de ces nouvelles parues dans des revues, (en 2005 : revue Harfang, Kogge).
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