[Critique] DE ROUILLE ET D’OS de Jacques Audiard

Le mélodrame version Audiard, c’est de l’anti-mélo. Même lorsqu’il nous cause d’amours, de rédemption et de bataille contre la vie, c’est hard, pas larmoyant pour un sou, âpre et bourré de pudeur. Pas question donc pour lui de faire pleurer dans les chaumières avec ces drames entrecroisés d’une jeune dresseuse d’orques amputée de ses jambes suite à un accident (Marion Cotillard, justement dosée), et d’un boxeur des rues, jeune père en galère (massif Matthias Schoenaerts). Au contraire, d’emblée, il peint des personnages peu aimables, rêches, des écorchés vifs pas là pour plaire au spectateur. Proche du cinéma des Dardenne, pour sa volonté de réalisme à tout prix, il prend le temps d’étudier les situations, d’étaler le malaise, de tailler sa mise en scène. Et ce, sans temps mort ni voyeurisme. De cette économie de moyens, qui constitue la réussite majeure du film, il tire un drame puissant, uppercut tout autant social que psychologique, animal, cinématographique. 
D’un couteau planqué sous un drap, l’on devine les envies de suicide. D’une larme sur une joue, l'on condamne tout pathos. Audiard, à l’instar de ses protagonistes, livre un combat de chaque minute : montrer le pire, sans s’apitoyer, sans rallier le spectateur aux causes (perdues ?) des figures du récit. Dans un développement amer, violent, découpé sans douceur, il parle d’animalité, de chair, de corps, parallélise les luttes (métaphorique et physique), sexualise le corps abîmé, annihile toutes les tendances mélo contemporaines. Le résultat est raide, sans concession. Droit, digne, et debout. Comme dans tous ses films, l’émotion peine à se frayer un chemin. Comme dans tous ses films, la perfection formelle est indéniable. De l'étreinte des deux, pourtant, aurait jailli le chef d'oeuvre. Dommage.