A propos de Kill List de Ben Wheatley
Neil Maskell
Ancien militaire reconverti en tueur à gages, Jay est au chômage depuis huit mois, depuis le fiasco d’une mission à Kiev qui lui a laissé de graves séquelles psychologiques. Tandis que sa vie de famille part vau-l’eau, que sa femme Shen et son fils l’exhortent à retravailler rapidement, Jay retrouve, le temps d’un dîner, Gal, son meilleur ami et ancien compagnon d’armes. Gal propose à Jay de retravailler comme tueur à gages pour un gros client, mais Jay hésite. Lorsque le dîner et la soirée, très arrosés, tournent à la dispute entre Shen et Jay, ce dernier accepte finalement la proposition de Gal, sans savoir dans quoi il met les pieds…
Difficile de trouver scénario (co-écrit par Ben Wheatley lui-même) plus tordu et mis en scène plus angoissante que ceux de Kill List, plongée dans la psyché torturée d’un tueur à gages malade mentalement, traumatisé par une mission ratée en Ukraine.
Second long-métrage du britannique Ben Wheatley, après Down Terrace (2009), Kill List donne l’impression d’assister à un long cauchemar de 01 h 30, celui fait par un soldat aux allures de « Baleine » (Vincent D’Onofrio) dans Full Metal Jacket de Kubrick (1987). Kill List, c’est un peu le mauvais « trip » d’un type qui rappelle le héros d’After Hours, sauf qu’ici, Jay va carrément péter les plombs et s’enfermer dans un cycle de violence qui est autant un révélateur de sa détresse et d’une impasse psychologiques qu’un (pseudo) exécutoire à son mal-être et à la tension extrême qu’il porte en lui. Décidément, les héros autistes et l’ultra-violence ont le vent en poupe depuis Drive.
Toujours est-il qu’il est beaucoup question de psychologie dans ce thriller nerveux qui joue avec délectation sur les codes des différents genres. La manipulation est au cœur d’une intrigue qui rappelle tout d’abord le scénario de Route Irish. Jay et Gal possèdent une liste de gens à « liquider » mais ces diverses personnes (un prêtre, un « bibliothécaire » qui possède en réalité des vidéos au contenu salace pour ne pas dire immonde) leur font toutes un étrange sourire avant d’être exécutées, ce qui a le don de rendre dingue Jay, qui se défoule sur ses victimes, donnant lieu à des scènes d’une sauvagerie qui confinent au trash et au « gore » même s’ il s’agit là plutôt de clins d’œil à des genres ou à des films. Truffé de références, Kill List (et non Kill Bill) n’en parvient pas moins à trouver une ambiance et un ton très personnels.
Qui est cette mystérieuse organisation qui a recruté Jay et Gal ? Qui sont les membres de cette secte qui espionne Jay jusqu’à connaitre les moindres détails de sa vie ? Jay nagerait-il en plein cauchemar, aurait-il des visions ou est-il tout simplement manipulé par des gens qui veulent se débarrasser de lui ?
C’est ce qu’intelligemment, avec distance et ironie, la mise en scène de Wheatley ne dit pas, qui reste dans un flou et une hésitation qui vont de pair avec la brume dans laquelle flotte Jay, qui perd de plus en plus les pédales en même temps que ses repères et peu à peu tout sens de la réalité.
Tout cela est lentement et brillamment amené, dans un polar tendu et haletant, noir, poisseux et « davidlynchéen » à souhait. Les compositions de Jim Williams sont aussi glaçantes que les méandres du cerveau de Jay. L’occultisme et l’ésotérisme occupent aussi une grande place dans Kill List (symboles, costumes, personnages mystérieux, qui se cachent, etc…). L’organisation secrète et ultra-puissante dont on parle dans le film et qui aurait droit de vie et de mort sur qui elle veut évoque directement la Scientologie et de manière beaucoup plus éloignée les Francs-Maçons. Les acteurs sont irréprochables, à commencer par Neil Maskell (Jay) et Michael Smiley (Gal), mais ce sont surtout la chute et la scène finale qui constituent un sommet d’horreur et d’abjection pour le héros et le spectateur, déjà éprouvé par le déchainement de violence. Pour Jay, c’est un basculement dans la folie, pour le spectateur, l’impression d’atteindre là le cœur des Ténèbres et de l’épouvante tout en se demandant si Wheatley ne s’amuserait pas du (mauvais) tour qu’il est en train de jouer… Chose certaine, l’Apocalypse selon le réalisateur anglais fait longtemps froid dans le dos après la séance…
http://www.youtube.com/watch?v=giQT0QVscZM
Film britannique de Ben Wheatley, avec Neil Maskell, Michael Smiley, Myanna Buring… (01 h 35).
Scénario d’Amy Jump et Ben Wheatley :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Jim Williams :