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Frank Ocean – Channel ORANGE

Publié le 12 juillet 2012 par Lcassetta

Après sa première et surprenante mixtape nostalgia, ULTRA, sortie l’année dernière, Frank a fait un bout de chemin. On l’a revu sur le refrain de No Church In The Wild de l’excellent Watch The Throne des deux plus grands stars actuelles du rap : Jay-Z et Kanye West et il s’est peu à peu imposé comme une nouvelle figure musicale très importante. Mais Frank Ocean n’aura jamais été aussi important que cette année, et il s’impose avec son premier album sur un grand label (Def Jam) comme l’un des artistes les plus talentueux de sa génération.

Je crois, non j’affirme qu’il est sain d’assurer que Channel ORANGE est le plus grand buzz musical de cette décennie depuis l’explosion d’Odd Future, le collectif dont il fait partie, et le toujours-aussi-parfait My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Et il serait très pertinent de comparer les deux sur plusieurs points. En plus d’avoir créé un buzz considérable, tous deux bénéficient d’une structure parfaite, une manie du détail et de la perfection rare et optimale. Mais ce n’est pas suffisant, les deux sont très introspectifs et très importants pour les deux artistes. Si MBDTF présentait une myriade de featurings, le nombre est beaucoup plus limité sur Channel ORANGE. Mais les deux se focalisent totalement sur leur artiste principal. Chacun de ces deux albums ont reçu une couverture média presque étouffante et une explosion de critiques mirifiques (on se souviendra du 10.0 de Pitchfork pour le plus ancien, et le récent 9.5 du dernier, qui devient le troisième (ex-aequo avec Bon Iver) album le mieux noté sur le célèbre site en au moins 5 ans de chroniques). Et pam, des ventes incroyables. Channel ORANGE est déjà l’un des albums les plus vendus de l’année, en deux jours seulement.

Mais Channel ORANGE est plus important que MBDTF. Frank Ocean était une figure dans une position très ambiguë, un jeune artiste qui essaye de s’imposer dans son milieu. Après sa première mixtape au succès louable, ses singles en chart-positions, ses collaborations sur d’autres albums, il était temps pour lui de prouver son talent, enfin son vrai talent. Je ne vais pas revenir sur l’annonce qu’il a faite à propos de sa sexualité… Enfin si. Pas que ça aie à voir avec la qualité de sa musique. Pas que ça aie une importance par rapport à lui. Alors, oui, certains viennent demander l’importance de cet acte. Eh bien je vais vous le dire : le coming-out de Frank Ocean est un acte plein de bravoure, et de courage, dans la position dans laquelle il se trouvait : tout le monde a les yeux rivés sur ce qui peut-être la future star internationale du R&B, un monde où les normes sont encore ancrées dans un consensus archaïque où l’homophobie est toujours d’actualité. Frank aurait pu ne pas être accepté par ses fans, par son entourage, par ses contemporains, et c’est un risque qu’il a pris. L’a-t’il fait pour booster les ventes de son album ? Cette question ne mérite pas d’être posée, car Frank Ocean n’est pas quelqu’un qui est parti avec une balle dans le pied. Il commence avec tout ce que j’ai cité en introduction, et deux gros, très gros singles avant la sortie de son album. Tout le monde attendait déjà Channel ORANGEEt son acte est extrêmement louable, car Frank Ocean fait accélérer la musique, les manières de penser, les relations entre les gens et la tolérance. Je ne parle pas de son acte (enfin, pas que…) : c’est tout l’album qui modélise ce concept. Now back to the album, comme dirait son partner-in-crime Tyler, The Creator sur l’intro de sa première mixtape.

Parlons en, d’introductions. Celle de Channel ORANGE est ce qui m’a le plus surpris dans tout l’album. S’il nous avait habitués aux interludes géniaux sur sa première mixtape, l’introduction est une idée fantastique. Du bruit, un téléphone qui sonne, puis le jingle de démarrage de la Playstation 1 par Sony. Je crois que la majorité des fans de Frank sont nés dans les années 80/90 et ont tous pu vivre ce moment d’euphorie, où, plus jeunes, on a pu rester fasciné devant l’introduction de la console avant de jouer à notre jeu favori. Et en quelques secondes, il nous fait revivre une nostalgie fantastique, en utilisant des samples aussi ingénieux que ceux-ci. C’est comme quand il cite Majin Buu, personnage emblématique du manga Dragon Ball Z : c’est un petit détail, qui une fois dans le contexte prend énormément d’importance. C’est tout l’univers post-nostalgique du crooner qui est mis en valeur ici, et ce n’est qu’un exemple. Chaque interlude est purement génial.

La première chose qui nous fera nous exclamer mais quel génie ! reste la production. Tout l’album, du début à la fin (littéralement de Start, l’intro à End, l’outro) est exceptionnellement bien réalisé. Frank a pu s’adonner à la production et nous a montré une autre facette de son talent sans limites : La composition. On surfe entre funk oldschool très réminiscente du génie de Stevie Wonder, à des sonorités hip-hop très laid-back propres à celles de son collectif, sa seconde famille, Odd Future. Pyramids en est sans conteste la représentation la plus explicite : naviguant entre 10 minutes de pop/R&B épique, Frank nous offre une pièce monumentale et grandiose qui distord la beauté des guitares, la vitalité des rythmes électro-pop, et la puissance humaine du funk over-émotionnel de l’artiste. En deux parties, la chanson fait la même chose que son coming-out : transcender les pensées et nous téléporter de l’archaïque au futuriste. Il passe de la célèbre reine d’Egypte et des pyramides aux strip clubs récents avec une aisance presque alarmante, et une originalité unique : Frank Ocean a peut-être bien créé le R&B contemporain progressif et expérimental. Tout au long des 10 minutes de la chanson, tout est à sa place, peut-être même beaucoup plus qu’on ne puisse imaginer quelque chose être à sa place. Quand on se dit que tout est déjà parfait, on est surpris par de nouveaux instruments qui apparaissent.

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Mais Pyramids n’est qu’un exemple de cette perfection dans la production. Le côté laid-back et purement chill engendre une profondeur émotionnelle rare dans un album de R&B. On pourrait comparer directement Frank à The Weeknd, mais il va plus loin. The Weeknd crée une ambiance érotique et sensuelle, teintée d’humanité et d’émotions poignantes, mais notre crooner fait réfléchir nos propres émotions sur les siennes au sein de son ambiance. Si plusieurs tracks sont aux limites de l’érotisme (comme le stand-out Thinkin Bout You), ce n’est pas dans le même but. On retrouvera surtout une funk splendide sur Lost, Monks, un R&B poignant et douloureux sur Bad Religion, un Jazz expansif sur l’interlude White (co-produit par Tyler) et l’épitomé de la pop sur Crack Rock. L’astuce c’est que c’est excellent sur chaque chanson. Chacun aura sa préférée, mais tout reste ultimement très bien produit.

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Entre nous, vous écouteriez un album de R&B pour sa production ? Le pilier de l’album, plus que la perfection de la production ou que la profondeur humaine, ça reste bien Frank. Sa personnalité, sa voix, son aisance, son charisme. Eh, oui, Frank a l’une des plus belles voix de ce siècle, mais s’il ne s’agissait que de ça… L’astuce encore une fois c’est qu’il la manie avec une perfection éblouissante. Prenons Thinkin Bout You. Le falsetto du bridge est l’un des plus parfaits que j’ai entendu de toute ma vie — je veux dire, toute ma vie. C’est un falsetto que Prince lui-même envierait. Sur ce bridge, on pourrait presque avoir peur pour la voix de l’artiste, tellement elle est clair et fragile comme du cristal. On a l’impression qu’elle va se briser à chaque seconde tellement c’est intense et poignant. Il sait parfaitement quand être poignant, quand être imposant, quand être émouvant. Et ici, c’est les trois à la fois. Quand il chante Or do you not think so far ahead? Cause I’ve been thinking ’bout forever, ooh… On veut presque le prendre dans nos bras et le réconforter. Bad Religion ou Pyramids ont le même traitement. Mais encore, tout l’album est une prouesse vocale simplement fantastique. Qui d’autre pourrait avoir un refrain qui chante quelque chose d’aussi ridicule que Crack Rock Crack Rock! et rendre ça fascinant ?

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Sur Crack Rock, justement, Sweet Life ou Super Rich Kids, il explore des thèmes très intéressants, retranscrivant la richesse, la drogue, l’amour, la jeunesse, la mort et autres d’un point de vue fascinant et avec un storytelling fantastique. D’ailleurs, on appréciera beaucoup qu’Earl, le rappeur le plus talentueux et acéré du groupe, ralentisse son propre tempo pour suivre celui du crooner, de même pour André 3000. Frank Ocean ne se fait jamais voler la vedette, c’est son album, et c’est un album extrêmement expressif et profond.

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Prenez une chanson aussi exceptionnelle que Bad Religion : Jamais Frank n’aura atteint une telle qualité dans le songwriting. Il raconte ses mésaventures à un chauffeur de taxi, en comparant amour et religion, et en s’appuyant sur des comparaisons fascinantes. Mais surtout. Surtout. Surtout. C’est déchirant. Cette chanson est universelle, qu’il chante sur un homme ou pas : tout le monde a déjà pu vivre ce genre de sensations. Accentué par son chant transcendant, chaque mot se transforme en émotion et nous poignarde lentement. L’empathie prend un tout autre sens avec cette chanson.

Finalement, Channel ORANGE mérite tout le succès écrasant qu’il reçoit. C’est l’expression parfaitement retranscrite d’un jeune artiste à l’une des personnalités les plus fortes et fascinantes de sa génération, et ce n’est que le premier pas. L’album nous a prouvé la qualité humaine exceptionnelle de son écriture, mais aussi les vertus transcendantes de son chant et la force de sa production. Et on a encore l’impression qu’il n’a dévoilé que son premier essai… alors qu’en deux jours, l’album sonne déjà comme un des plus grands classiques de cette décennie. 9.0/10

Frank Ocean – Channel ORANGE
Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)

Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j'ai 18 ans et je suis étudiant... Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouvé énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !


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