On manque en France autant de bons raconteurs d'histoires que de (re)créateurs d'univers. Le Samuel Benchetrit de J'ai toujours rêvé d'être un gangster est sans doute le remède à ces deux maux. Son cinéma sent à la fois l'urgence et l'application, la nostalgie et l'envie d'aller de l'avant, le classicisme et la fantaisie. On pourrait citer Jarmusch, Tarantino, Tati ou Chaplin, mais ce serait vain tant ces références sont parfaitement intégrées dans le style très personnel de l'artiste. Benchetrit a mis tout son coeur dans cette déclaration d'amour au cinéma et aux gangsters d'opérette, chacun de ces deux pôles d'intérêt étant avantageusement mis au service de l'autre.
Si par le passé le principe du films à sketches a souvent donné lieu à des oeuvres inégales pour ne pas dire bancales, Benchetrit est parvenu à rester en équilibre, sans cesse sur le fil du rasoir. Impossible de choisir un segment plutôt qu'un autre : chacun a son petit charme personnel et son identité propre, ce qui ne nuit pourtant pas à l'homogénéité de l'ensemble. Dieu qu'Anna Mouglalis est belle, filmée au naturel et avec les yeux de l'amour ; son face-à-face avec un Edouard Baer maladroit est pour le moins charmant. Qu'ils sont drôles, ces deux belges gueulards qui se disputent pour un détail ou une partie de cartes (jamais le whist n'aura été aussi désopilant). Féroce, ce duel entre deux chanteurs à l'ego surdimensionné (Arno et Bashung, as themselves). Tendres et décapantes, les retrouvailles de cinq braqueurs d'antan.
Loin des artistes cumulards qui touchent à tout parce qu'on le leur permet, Benchetrit possède à la fois une vraie belle plume (lisez donc ses Chroniques de l'asphalte), un don pour l'illustration musicale, et un incroyable sens du plan (un zèbre, une corde, un poteau sont les héros successifs de tableaux magnifiques et souvent pathétiques). Résultat : même si cela ressemble à une critique de Télé Star, on peut résumer J'ai toujours rêvé d'être un gangster par "On rit beaucoup, et l'émotion est également au rendez-vous". Comique de situation, punchlines étourdissantes, vignettes en hommage au cinéma muet ou à celui de Melville : Benchetrit ne recule devant rien, et tout lui réussit. Une audace teintée de modestie qui lui sied à merveille ; il vient en tout cas de signer un joli coup de maître, qui ne devrait sans doute pas rester sans suite.
8/10
(également publié sur Écran Large)