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Des vies de simples

Par Amaury Piedfer

Les Gaulois sont de plus en plus curieux de redécouvrir les modes de vie de leurs ancêtres proches ou lointains, de s'imprégner de l'esprit de ces hommes et de ces femmes qui, pour ne pas avoir eu souvent des vies faciles, savaient ce que courage, mais aussi bonhommie et convivialité voulaient dire. Nous vous proposons trois ouvrages de littérature, de grande qualité mais peu connus, dont le mérite est de nous faire pénétrer dans la vie des paysans français du XIXème siècle et du début du XXème siècle directement par le biais de leurs témoignages. Ces hommes à la vie rude avaient parfois beaucoup d'esprit et, habitués à se taire et à affronter avec détermination leur destin, n'en avaient pas moins beaucoup d'esprit et de coeur. Ces quatre ouvrages, fruit du travail de paysans bretons ou auvergnats, sont de lecture facile, écrits dans une langue simple, mais très touchant et passionnant. Ils décrivent un monde qui s'est effacé très vite mais qui reste proche de nous, car nous en sommes les héritiers directs.
Antoine Sylvère, Toinou, le cri d'un enfant auvergnat.
Présentaiton de l'éditeur.En ce temps-là, la France était le plus riche pays de la terre. Elle produisait trop de vin, trop de blé. Par milliards, les banques "pompaient " un excédent de ressources qu'elles disperssaient dans toute l'Europe et par-delà les océans. En ce temps-là, quelque part dans le Livradais, en Auvergne, le Jean, métayer, et la Marie, nourrice à Lyon, lièrent une existence que la nécessité d'acheter le pain et de se vêtir tant bien que mal empoissona jusqu'à la mort.
C'est la fin du XIXe siècle, "la belle époque". Toinou va naître et grandir parmi les plus pauvres. Le petit garçon va tout découvrir de ce monde implacable et sans joie. Le sein de la vie familiale, d'abord, qui " n'admet pas d'effusion ", puis la petite école des Sœurs, où les élèves terrorisés sont roués de coups. La grande école des Frères, ensuite, avec sa cohorte d'injustices et d'aberrations, "qui fournit à la bourgeoisie locale une ample provision d'ouvriers et de métayers sans exigence, sillencieux, soumis, craintifs ". Et surtout... le pitoybable cortège de tous ces malheureux aux vies ratées - tels les propres parents de Toinou. C'est dans la tendresse d'un grand-père qui lui donne le goût du savoir que Toinou puisera la force du refus. Ce cri d'enfant, exceptionnel dans l'histoire rurale française, est digne des plus grands : Hugo, Zola.
Pourtant, ce livre n'a rien de commun avec ceux de ces deux derniers auteurs. Beaucoup plus cru, beaucoup plus dur que Les Misérables ou La Terre, parce que bien plus vrai. L'histoire de Toinou, simple et rude, c'est celle des millions de Français qui ont vécu il y a un siècle.
Emile Guillaumin, La vie d'un simpleCe roman remarquable s'inspire des souvenirs personnels de l'auteur. Il y décrit la vie d'un simple métayer du Bourbonnais au début du XXème siècle, une vie pleine de travail, de courage, de peine, mais une vie vraie. L'auteur dispose d'un musée, présentant son oeuvre et la vie rurale de son pays. Le site du musée, dans l'Allier : http://musee-emile-guillaumin.planet-allier.com/egl/Notice.asp?livre=5
A. Grenadou, A. Prevost, Grenadou, paysan françaisPrésentation de l'éditeurIntroduit et annoté par Claude Mesliand. Un des premiers livres-interviews qui restera un modèle du genre, insurpassable par la générosité de l'intervieweur qui s'efface intégralement derrière son sujet, par l'authenticité de l'interviewé qui livre le récit de sa traversée du siècle au travers des deux guerres mondiales, des crises, des choix de société comme il a vécu sa vie, sans conformisme ni héroïsme, sans égoïsme ni forfanterie. Un récit riche et compact, plein d'humour, pittorresque sans folklorisme. Une vie banale et exemplaire, comme en ont vécu des milliers de paysans, comme en vivent des milliers de cultivateurs. Paru en 1966, Grenadou, paysan français, est aujourd'hui introduit et annoté par Claude Mesliand, un spécialiste du monde rural, à l'occasion de sa reprise en Points Histoire.
Des entretiens passionnants, qui nous font vivre de l'intérieur les péripéties et les sentiments d'un homme de la campagne emporté par les tourments du XXème siècle.
J.-M. Déguignet, Mémoires d'un paysan bas-Breton, 1834 - 1905Présentation de l'éditeur.
Jean-Marie Déguignet est de ce type d'hommes dont le destin fait immanquablement penser à un roman picaresque. Né en 1834 dans une très modeste famille bretonne, il a grandi dans un milieu "où presque personne ne savait lire ou même parler un mot de français". Mais, dévoré par le désir de s'instruire, le petit vacher misérable apprit d'abord seul à lire et à écrire. Après s'être engagé dans l'armée, il prit part à presque toutes les campagnes de Napoléon III, de l'Italie au Mexique. De retour en Bretagne, il se fit tour à tour agriculteur – ce qui lui donna l'occasion de rédiger un traité sur l'élevage des abeilles –, assureur, buraliste. Ruiné, il mourut à l'hospice dans le plus grand dénuement peu après avoir achevé la rédaction de ses mémoires, qui seraient restés oubliés sans la ténacité d'un éditeur breton.
L'immense succès de ce livre déjà vendu à plus de 100 000 exemplaires dit assez qu'il n'est pas un simple témoignage sur le passé. Dans un style élégant, drôle et caustique, cet esprit original, – devenu anticlérical après avoir perdu la foi… à Jérusalem ! – brosse un portrait sans concession d'une Bretagne prise entre ses superstitions presque païennes et l'omnipotence de l'Église.
Thomas Ferrier, Quatrième de couverture. Les "Mémoires" de Jean-Marie Déguignet constituent un document social et humain majeur sur la vie rurale au XIXe siècle. Homme parmi les hommes, il connut néanmoins un destin exceptionnel : ouvrier agricole dans le Finistère profond, soldat à Lorient, engagé dans les guerres de Crimée et d'Italie du second Empire, témoin de la catastrophique aventure mexicaine, débitant de tabac, miséreux à Quimper, mourant à l'hospice. Le journal qu'il tint tout au long de sa vie reste sans égal dans les annales du temps. C'est celui d'un écorché vif, d'un anticlérical et d'un anarchiste pourfendeur des conservatismes. D'un prophète aussi, qui pressent la destruction des sociétés traditionnelles. C'est en ce sens que son témoignage, passionnant comme un roman d'aventure, est aussi une saga de la condition humaine.
Un ouvrage extraordinaire, un passeport inestimable pour comprendre l'identité profonde de la Bretagne rurale du XIXème siècle, et au-delà l'âme profonde de la France entière, un livre pour comprendre comment les hommes de la terre ont vécu les grands épisodes de notre histoire. Bien plus passionnant et utile que les fictions des hommes de salon Hugo ou Zola.

Amaury Piedfer.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Pascal
posté le 24 mai à 11:05
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"Toinou" est un roman-témoignage extraordinaire. Dommage que cet œuvre — et son auteur — ne soient davantage cités de nos jours...

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