Belle de glace
de Anna SHEEHAN
(Challenge YA/Jeunesse - 40/24,
Chroniqué pour Forbidden Book)
Hachette Jeunesse (Black Moon),
2012, p. 378
Première Publication : 2011
Pour l'acheter : Belle de glace
Anna Sheehan est née sur les rives du lac Michigan.
Ses années à l’école sont un vrai cauchemar. Anna
trouve son refuge dans les livres. Dianna Wynne Jones,
Douglas Adams, mais aussi William Shakespeare
ont changé sa vie - tout comme sa découverte des
reconstitutions historiques, auxquelles elle a participé,
tout de velours vêtue, à jouer de la harpe en regardant
des jeunes gens en armure de plastique se taper dessus.
Elle passe un diplôme d’orfèvrerie, mais préfère se
consacrer à l’écriture. Elle vit maintenant dans l’Orégon
avec sa mère, sa fille et son lévrier irlandais.
Merci à Forbidden Book et Black Moon pour la découverte...
osalinda Fitzroy, alias Rose, dort depuis soixante-deux ans quand elle est réveillée par un baiser. Durant son sommeil, les Heures Sombres ravageaient le monde tel qu'elle le connaissait et tuaient des millions de personnes dont ses parents et son premier amour. Depuis son réveil, Rose, reconnue comme l'héritière perdue d'un empire interplanétaire, doit faire face à un avenir où elle est considérée soit comme un monstre, soit comme une menace. Prête à tout pour mettre son passé derrière elle et s'adapter à ce nouveau monde, Rose se sent attirée par le garçon qui l'a réveillé et espère qu'il l'aidera à recommencer sa vie. Mais quand un danger mortel met en péril sa nouvelle existence, Rose doit faire face aux fantômes du passé et les affronter sans quoi, il n'y aura plus du tout de futur pour elle.
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e dois l’avouer, je partais avec des a priori négatifs. Pourquoi ? La collection Black Moon peut-être (même si elle m’a déjà permis de belles découvertes), l’estampillage « YA » dont je me méfie de plus en plus car il cache tout et n’importe quoi ou la couverture, mignonne mais bon… Bref, j’y allais un peu à reculons, n’attendant pas grand-chose de cette lecture… et voilà qu’un petit cœur vient décorer cette chronique !
Je suis la première surprise mais Belle de glace m’a plu. Beaucoup plu même. Il m’a fallu un petit temps pour m’habituer à l’emploi du passé composé mais tout le reste a su me convaincre. L’histoire est originale et bien menée et les personnages intéressants à suivre, surtout l’héroïne. Ce livre se suffit à lui-même mais si une suite voit le jour, je sauterai dessus, c’est évident !
Dans une société futuriste (aux alentours de 2100, je dirais), on découvre Rosalinda - dite Rose - qui est réveillée après plus de 60 ans de sommeil artificiel. Son sauveur, Bren - petit-fils d’un des directeurs de la plus grande société de la planète (créée par les parents de l’héroïne) -, prend soin de la Belle au bois dormant pour l’aider à s’habituer à sa nouvelle vie. Rose doit réapprendre à vivre dans un monde qui a changé (les technologies ont évidemment évolué), « entourée » de gens inconnus qui la traitent comme une paria ou ont pitié d’elle (tous ses anciens proches sont morts) et pourchassée par un robot programmé pour la retrouver et la tuer. Rose est une adolescente mal dans sa peau, seule et solitaire. Son seul refuge est le dessin (elle a constamment son carnet de croquis avec elle). Elle est perdue, se souvient de sa vie passée, de ses défunts parents et de l’amour de sa vie, Xavier. J’ai trouvé cette héroïne mélancolique, particulièrement attachante ; elle m’a beaucoup touchée. Anna Sheehan a fait d’elle un personnage vrai et a échappé aux stéréotypes. Rose est une héroïne à laquelle on peut s’identifier ou qui peut facilement devenir une amie proche ; c’est ce genre de personnages que j’aime rencontrer lorsque je lis.
Autour d’elle, on fait la connaissance du gentil et serviable Bren. Il prend soin de Rose, lui tend la main, est souriant… mais est-il vraiment ce qu’il semble être ? Que cache-t-il ? Ce n’est pas la figure la plus passionnante du récit mais, encore une fois, Anna Sheehan estompe et évite le manichéisme. En revanche, elle offre, à son héroïne, une deuxième présence masculine très forte en la présence de Otto. Lycéen lui aussi, le garçon a un lourd passé puisqu’il est issu de manipulations génétiques d’après des souches extraterrestres. Il est un des derniers survivants sur les 100 embryons sortis de cette expérience… Outre sa peau bleue, il ne peut pas parler et communique donc par télépathie. Mais, lorsqu’il touche Rose pour la première fois, il a un geste de recul et refuse ensuite de réitérer l’expérience. L’adolescente est très blessée par ce choix, elle qui n’a déjà pas beaucoup d’amis… Alors, ami ou ennemi pour Rose ? Je peux juste vous affirmer que son rôle prend de l’importance au fil des pages et qu’il a remporté tous mes suffrages.
Rose tente donc de s’intégrer à sa nouvelle vie, différente de ce qu’elle connaissait 62 ans plus tôt. Et comme on découvre l’histoire de son point de vue, on découvre les choses en même temps qu’elle. Les héros amnésiques ou ignorants, c’est toujours très pratique pour présenter le monde aux lecteurs. On apprend donc, en même temps que Rose, ce que sont les Heures Sombres qui ont eu lieu pendant son sommeil (et qui ont supprimé quelques millions de personnes au passage) et ce qu’est devenue la planète, notamment en ce qui concerne la société créée par ses défunts parents.
Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur cette civilisation futuriste mais c’est suffisant et bien exploité. Je ne serais pas, en revanche, contre une suite ou un spin-off pour acquérir plus d’éléments à ce sujet ; mais c’est une simple curiosité.
Outre les personnages et l’univers, j’ai également beaucoup apprécié la construction de l’histoire. Anna Sheehan ne nous offre pas tous les éléments au début du texte, bien au contraire ! Lorsque Rose est réveillée après 62 ans de stase, on ne sait rien d’elle, de son passé, ni ce qu’elle fait ici. Ce n’est qu’au fil du récit, alors que la jeune fille se remémore ses souvenirs, que les pièces du puzzle se mettent en place pour elle et pour le lecteur. Ces flash-back nous permettent de comprendre quelle était la vie de Rose 60 ans auparavant et surtout, ce que cela implique pour elle aujourd’hui. Certaines révélations, assez « dures », m’ont émue et j’étais alors d’autant plus « en phase » avec l’héroïne. Anna Sheehan, derrière cette histoire, pose des questions intelligentes et délicates liées à l’utilisation excessive des nouvelles technologies et se place du point de vue de l’humain, de l’éthique. Je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler mais je vous invite chaleureusement à faire la découverte vous-mêmes.
Le point le moins négatif, selon moi, réside dans la forme à proprement parler. En effet, le texte est traduit au passé composé et je trouve ce choix, personnellement, très désagréable. Au début, j’ai buté plus d’une fois sur certains passages mais par la suite, heureusement, j’ai du m’y habituer puisque je n’ai plus eu de difficultés. Je trouve tout de même dommage, au vu de la richesse des temps dans la langue française, de traduire les textes au passé composé. Oui, je le conçois, c’est beaucoup plus abordable et « actuel » que l’imparfait ou le passé simple, mais cela enlève un charme au récit, c’est indéniable.
Cela dit, j’ai beaucoup apprécié les autres aspects de la plume de Anna Sheehan (ou de la traduction ?). Il me semble que l’auteure est assez douée lorsqu’il s’agit de partager les émotions, notamment la tristesse et la solitude de Rose. L’auteure maîtrise également la narration non linéaire, sachant introduire des flash-back et donc offrir de nouvelles pièces du puzzle, aux moments opportuns. Mis à part ce passé composé qui m’a perturbée, j’ai trouvé l’ensemble bien écrit et très agréable à lire !
Si le monde brièvement décrit est intelligemment mis en place, ce n’est finalement pas l’intrigue qui s’y déroule que je retiendrai, mais bien les questions liées aux dérives de l’utilisation de certaines technologies, les personnages qui évoluent dans cette histoire, Rose en tête, et surtout les émotions de cette dernière ! Une réussite !