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Benazir Bhutto, Femme et politique

Publié le 23 mars 2008 par Mgallot

Je suis en ce moa898778ca50899459c1db8b4264e326e.jpgment plongée dans la lecture de l'autobiographie de Benazir Bhutto, "Fille de l'orient, une vie pour la démocratie", publiée par les éditions Héloïse d'Ormesson (sortie en janvier 2008). Ce qui pourrait ressembler de loin à un opportunisme éditorial charognard ne résulte que d'un concours de circonstances funeste, puisque Benazir Bhutto a été assassinée après que l'éditeur français a acheté les droits de cet ouvrage, qui ne devait paraître qu'après les élections pakistanaises que Benazir Bhutto aurait probablement remportées.

Je reparlerai de cette autobiographie passionnante, quand je l'aurai terminée, sur ce blog et sur Sitartmag.

Dès le début, je suis cependant saisie par la combativité de Benazir Bhutto, consciente des entraves à l'exercice du pouvoir chez une femme: "Nous devons êtres préparées à ne pas nous plaindre de ces discriminations, mais à les surmonter. Et nous devons être prêtes à le faire même si cela nous oblige à travailler deux fois plus dur et deux fois plus longtemps qu'un homme."

Ces propos pourraient sembler un peu convenus, mais là où Benazir Bhutto devient absolument épatante, c'est dans la manière dont elle applique ce principe à sa propre vie. Refusant de choisir entre pouvoir et maternité, elle devient à la fois mère et chef de l'Etat:

"Je suis reconnaissante à ma mère de m'avoir fait prendre conscience que la grossesse est un état biologique naturel qui ne doit en rien bouleverser le cours normal de la vie. Forte de cette leçon, je n'ai pratiquement jamais éprouvé la moindre limitation physique ou émotionnelle pendant mes grossesses."

"En 1988, alors que j'attendais mon premier enfant, le dictateur militaire a dissous le parlement et convoqué des élections générales. Ses conseillers militaires et lui-même s'accordaient à penser qu'une femme enceinte ne pourrait jamais faire campagne. Ils se trompaient. J'en étais parfaitement capable et je l'ai fait. Mon fils Bilawal est né le 21 septembre 1988. Ce fut l'un des p

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lus beaux jours de ma vie. Quelques semaines plus tard, je remportais les élections. Ce fut un autre des plus beaux jours de ma vie. Je venais de donner tort à toux ceux qui prédisaient que jamais une femme musulmane ne pourrait gagner le coeur et l'esprit du peuple." (en une de Paris-Match ci-contre: Benazir Bhutto et son fils Bilawal)

Plus tard, elle vit une 2ème grossesse, alors qu'elle est premier ministre:

"Dès que l'opposition apprit que j'étais enceinte, elle déclencha un véritable branle-bas de combat. Elle exhorta le président de l'armée à me démettre de mes fonctions, sous prétexte que rien dans les institutions pakistanaises ne prévoyait un congé de maternité pour le premier ministre. Puisque je ne serais plus en mesure de gouverner au moment de l'accouchement, tout l'appareil d'Etat s'effondrerait nécessairement, disaient-ils. Une telle vacance de pouvoir était selon eux inconstitutionnelle et il était donc impératif que le président, avec la bénédiction de l'armée, destitue le premier ministre et nomme un gouvernement de transition pour préparer de nouvelles élections. Je balayais ces demandes extravagantes d'un revers de main, soulignant que la législation de notre pays garantissait un congé de maternité à toutes les femmes actives (une mesure que mon père avait fait adopter), et que cette disposition s'appliquait tout aussi bien au premier ministre, même si le cas n'était pas explicitement prévu dans les règles régissant les affaires de l'Etat. Les membres de mon gouvernement appuyèrent mon point de vue, faisant remarquer qu'un congé maladie d'un dirigeant masculin n'avait jamais débouché sur une crise constitutionnelle. Et il n'y avait aucune raison pour qu'il en aille autrement lorsqu'une femme politique se trouvait momentanément souffrante."

L'opposition organise une grève générale pour la déstabiliser et avec l'accord de son médecin, parce que l'enfant est arrivé à terme, elle accouche par césarienne la veille de cette grève: "Les grèves firent long feu et la campagne de l'opposition tomba à plat."

"Ce fut un instant décisif, surtout pour les jeunes femmes, car l'évènement avait démontré qu'une femme pouvait avoir un enfant en assumant les fonctions les plus difficiles qui soient, jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir. (...) Ce n'est que plus tard que j'appris que j'étais le premier chef de gouvernement de l'histoire à avoir eu un enfant dans l'exercice de ses fonctions. Je venais de briser un nouveau plafond de verre pour les femmes premier ministre."

Une telle attitude vaut à mes yeux tous les discours féministes. Comment ne pas être admirative de cette femme qui a voulu et réussi à mener de front vie de femme et vie politique? Il est vrai qu'elle y a été préparée par son éducation, son père, premier ministre lui-même, ayant tenu à soigner son instruction autant que celle d'un garçon et à la former comme un futur chef d'état : il l'a envoyée étudier à Harvard, puis Oxford, et aussi lui a fait partager les moments décisifs de l'exercice de sa fonction (rencontres avec des chefs d'Etat, négociations à l'ONU, etc).

Certes, son destin est exceptionnel et ce qu'elle a fait, peu de femmes le peuvent. Il faut des pionnières qui soient capables de montrer qu'être femme n'est pas une limitation. Des modèles. Et même ici en France, ce n'est pas du luxe! Combien de jeunes femmes se posent des limites, en particulier du moment où elles sont mères, sacrifiant une partie d'elles-même sur l'autel de la culpabilité? (quitte parfois à le regretter plus tard)

Bien sûr, certains diront que Benazir Bhutto n'a probablement pas été une mère très présente (éternelle accusation de "mauvaise mère"!), qu'elle n'a pas vécu complètement sa maternité puisqu'elle avait aussi d'autres préoccupations et était au travail dès le lendemain de ses accouchements, que ses activités politiques lui ont coûté la vie et

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privent ses enfants de leur mère à un âge où les plus jeunes auraient encore besoin d'elle (sans compter les moments où ils ont été séparés car la situation étant devenue trop dangereuse au Pakistan, les enfants Bhutto ont été confiés à la famille vivant en Grande-Bretagne).

Mais un enfant souffre peut-être plus d'une mère frustrée que d'une mère active. Ceux de Benazir auront eu l'exemple d'une mère courageuse, une femme forte et qui n'a voulu renoncer à rien, et sans doute aussi une mère aimante, car la manière dont elle les évoque ne laisse aucun doute à ce sujet. D'ailleurs, son fils aîné Bilawal (en photo ci-contre) a pris la tête du parti politique dont Benazir Bhutto était le chef.


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