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Trois petits recueils de Norge

Par Etcetera

Trois petits recueils de NorgeGeo Norge ou Norge est né Georges Mogin à Bruxelles en 1898 et mort à Mougins le 25 octobre 1990. Il choisit l’écriture en 1923, fonde le Journal des poètes en 1931 puis les Cahiers blancs en 1937.
Dans les années 20 et 30 il participe aux mouvements contemporains (surréalistes et autres) mais se montre rapidement marginal par rapport à eux.
De son œuvre poétique extrêmement variée j’ai retenu aujourd’hui trois petits recueils de courts poèmes en prose : Les Oignons ( 1953), Les Cerveaux brûlés (1969), Le Sac à malices (1984).
On a souvent dit que la concision, la clarté, le trait d’esprit, l’ironie, étaient des qualités typiquement françaises, et pourtant elles caractérisent au mieux ce poète belge.
Norge était un admirateur de La Fontaine et, comme lui, il ne se faisait pas d’illusions sur la nature humaine, mais n’en demeurait pas moins profondément épris de la vie et de l’humanité.
Voici quelques poèmes tirés de ces trois recueils :

Le Travail

On répara le tonneau et les Danaïdes furent bien attrapées. Il leur vint d’ailleurs une mauvaise graisse et cela fit peine à voir. Sisyphe n’en revenait pas. Pourvu que mon rocher continue, pensait-il. Ah, ceux qui ont la vocation du travail, ça leur paraît tout drôle quand la besogne est faite.

La Justice

Omar, le bon Omar se précipite aux pieds du sultan-philosophe. – Seigneur, pourquoi m’accabler de douleurs ? Et qu’ai-je fait pour mériter vos châtiments ? – D’où te vient cette idée, cher Omar, qu’on a ce qu’on mérite ? Pour le coup, telle erreur mérite un châtiment.

L’Ouïe

Sourd, sourd, sourd. Anatole était sourd comme une colonne. De naissance, d’ailleurs. Un jour l’ouïe lui fut donnée par un bienfaisant guérisseur. Oiseaux chantaient, ruisseaux chantaient, hommes chantaient. Quel opéra ! Eh bien, Anatole comprit seulement le silence inouï du monde.

Boum

Je dis boum et tu dis boum-boum. Je réponds boum-boum-boum car je veux boumer plus que toi. Ça reboume de plus en plus fort, et c’est ainsi que commencent les grands empires. C’est ainsi que les grands empires finissent. Et d’ailleurs que, boum, ils recommencent.

Le Rossignol de Chine

Il y a une certaine façon de chanter chinois pour ces oiseaux-là. On n’y comprend rien. Aux rossignols de France on ne comprend rien non plus. Mais quand même, on sent qu’ils parlent français.

On peut se tromper

Tiens, c’est une girafe et j’ai cru si longtemps que c’était un pommier. Alors ces pommes que j’aimais tant ? – C’était de la crotte, Aristide. – De la crotte ! Alors, j’aimais de la crotte ? – Mais oui, Aristide, on peut se tromper et le principal c’est d’aimer.

L’Ordre

Je mets beaucoup d’ordre dans mes idées. Ça ne va pas tout seul. Il y a des idées qui ne supportent pas l’ordre et qui préfèrent crever. A la fin, j’ai beaucoup d’ordre et presque plus d’idées.

Pour l’Odeur

Encore des idées ! On en avait déjà, dit Claude au visiteur qui se lisse la barbe. – Les miennes sont les vraies, jeune homme, il faut les croire. – Monsieur, lui répond Claude, avec tous mes respects, vous n’en auriez pas une, ô seule et même fausse, mais qui sache sourire et sente le lilas ?

Sucre Candide

Maman, l’hiver, m’en donnait un petit morceau pour la gorge, quand je partais à l’école.
L’instituteur m’apprit un jour qu’on ne dit pas le sucre candide mais le sucre candi. Quelle déception ! Le lendemain je doutais du Père Noël et un peu plus tard, je réfléchis à l’existence de Dieu …

Les Opéras

Ernest adore les grands opéras mais il n’en écoute jamais car les grands opéras ça l’assomme. Ces cas-là sont plus fréquents qu’on ne pense.

Les Oignons, Les Cerveaux brûlés et Le Sac à malices font partie des Poésies 1923-1988 publiées par Poésie/Gallimard.



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