Magazine Conso
J’ai entendu celle-là une centaine de fois depuis les quelques années que je vis au Québec. Cette affirmation est souvent répétée et remâchée sous diverses formes dans certains milieux médiatiques qui se considèrent de droite. Selon plusieurs chroniqueurs, les Québécois ont une aversion viscérale pour la richesse. Les plus farouches de ces pseudo-sociologues de circonstance sont Richard Martineau, Mario Dumont et Éric Duhaime. Pour Richard Martineau : « Au Québec, plus tu es riche, plus on te considère comme un crosseur » Selon les jérémiades d’Éric Duhaime, si l’on ne donne pas assez d’amour aux riches et si l’on n’arrête pas de les taxer, ils vont fuir le Québec.
A entendre ces chroniqueurs, on dirait bien que le Québécois préfèrerait bien vivre à Cuba qu’au Canada. A force de la répéter, cette idée saugrenue du malaise et de la jalousie des Québécois envers les riches est assez ancrée dans la population. La rhétorique remonte vite en surface pour clouer le bec de quiconque se mettant à critiquer les pratiques ou les excès d’une minorité de riches. De la reductio ad hitlerum, nous sommes passés à la Reductio ad zelosus (jalousie) au Québec. Vous êtes contre la braderie des ressources naturelles du Québec ? Vous êtes contre les entrepreneurs. Vous critiquez les excès du Grand Prix ? Vous n’aimez pas les riches. Vous dénoncez le défilé de politiciens au pouvoir à Sagard ? Vous êtes jaloux des Desmarais. Finalement, il n’y a plus de place à la discussion et aux nuances, le problème, c’est vous. Vous êtes foncièrement un danger pour les riches et pour le développement. Même le ministre Clément Gignac s’est senti obligé de servir un bon conseil de psychologue au peuple de "fortuno-réfractaires" : « les Québécois doivent surmonter leur malaise face aux riches » Hein? A sa place, Freud aurait probablement expliqué que ce "malaise" des Québecois envers les riches remonte très loin dans leur passé et leur éducation catholique. Sans blague, n'est-ce pas aussi un argument très usité? On se demande si M. Gignac veut nous fait croire, comme d'autres, que la santé économique d’une nation se mesure par le nombre de millionnaires qu’elle abrite. C’était, en tout cas, la définition du développement de Mobutu, défunt président du Congo démocratique. Lorsqu’un journaliste demandait au dictateur ce qu’il a fait pour le développement de son pays, il répondait avec plaisir : « Depuis que je suis au pouvoir, je vois plus de millionnaires autour de moi et le nombre de gratte-ciel dans le pays augmente »
Le plus désolant dans tout ca, c’est que la prémisse en arrière de cette affirmation simpliste est de faire croire que les Québécois n’aiment pas les entrepreneurs, les travaillants, ceux qui deviennent des millionnaires en partant de rien. Est-ce vraiment la réalité ou un radotage de préjugés renforcés par une lecture bancale des réalités sociales?
La publication récente d’un sondage sur les valeurs entrepreneuriales des Québécois par la Fondation de l'Entrepreneurship, m’a donné l’idée d’écrire cet article. L’objectif ultime du sondage était de confirmer (ou d’infirmer) la croyance populaire voulant que les Québécois jugent sévèrement le fait de vouloir s’enrichir, l’échec en affaire, l’honnêteté des entrepreneurs, etc.
Les résultats obtenus sont clairs et défoncent les préjugés : « non seulement la perception individuelle (ou personnelle) qu’ont les Québécois des entrepreneurs et de l’entrepreneuriat est très positive, mais elle l’est tout autant que celle observée dans le reste du Canada. Par exemple, lorsqu’il est demandé si le fait de vouloir s’enrichir est sain, 79,9 % des Québécois sont d’accord avec l’énoncé. Le son de cloche est le même sur la croyance voulant qu’il soit possible de s’enrichir de façon juste et équitable en affaires. Les répondants sont d’accord à 89,1 %. Cependant, un bon nombre de Québécois ont une perception de la société encore empreinte d’idées reçues lorsqu'ils répondent : «je n’ai pas de problèmes avec l’argent, mais les Québécois en général en ont un». On peut dire que le "brainwashing" finit par laisser des traces à la longue.
Des riches détestables ?
C’est évident que la liste de riches crosseurs et détestables serait trop longue à faire. Parmi les plus populaires, Tony Accurso, Vincent Lacroix, Earl Jones ne contribuent certainement pas à augmenter la côte d’amour et la confiance envers les riches.
Plusieurs recherches ont démontré que les plus riches sont aussi ceux qui ont tendance à frauder le fisc. Au moins 21 000 milliards sont transférés dans des paradis fiscaux par 0,001% de la population mondiale selon une étude de l'association Tax Justice Network (TJN).
Un essai de Brigitte Alepin fait aussi la lumière sur la situation des fraudes fiscales au Canada. Nous y apprenons, entre autres, comment : "Cinar et ses ex-dirigeants ont fraudé le système sans même être traduits en justice ; la Canada Steamship Lines, Irving Oil, des gens du milieu du spectacle, des motards criminalisés et bien d’autres ont utilisé ou continuent à utiliser les paradis fiscaux pour se placer à l’abri du fisc canadien ; la famille Chagnon s’est dotée, lors de la vente de Vidéotron, d’une fondation de 1,4 milliard à même les impôts ; les Bronfman ont réussi à éviter une facture d’impôt de 750 millions de dollars ; le CN, le CP et certains fleurons québécois, tels Vidéotron, Molson, Saputo, Alcan et Domtar réussissent à reporter dans le temps des milliards de dollars d’impôts. Bref, plus que les salariés moyens, les plus riches n’aiment pas payer d’impôts".
Les riches ne sont pas tous des pourris
Les Québécois ont de bonnes raisons de s’insurger contre la richesse des gens comme Accurso acquise de la façon très peu catholique que nous savons tous maintenant, et sa mainmise sur les grands projets municipaux. Ils peuvent également s’inquiéter de la trop grande proximité des politiciens au pouvoir avec des riches familles comme les Desmarais. C’est carrément imprudent et déraisonnable qu’un premier ministre en exercice aille passer une fin de semaine dans le domaine privé des Desmarais. Il est de notoriété public que certaines familles riches profitent de leurs relations politiques pour s’enrichir sur le dos des contribuables en décrochant de gros contrats ou en influençant carrément les politiques économiques en leur faveur. Un sujet très d’actualité avec de nombreux scandales qui impliquent le parti libéral du Québec. Malgré tout le respect que nous pouvons avoir pour SNC Lavalin et sa formidable réussite internationale, les scandales de corruption répétées viennent ternir inexorablement l'image de l'entreprise auprès du public.
En même temps, les Québécois démontrent une grande admiration, à la limite du chauvinisme, pour les entreprises québécoises qui réussissent ici et à l’international : Bombardier, Couche Tard, le Cirque du Soleil, Jean Coutu, Kruger, etc. Sans compter les milliers de PME qui font la fierté du Québec par leur réussite et leur créativité.
Alors la question qui tue : Les Québécois n’aiment pas les riches ou plutôt, comme ailleurs, détestent les spécialistes de la triche?