“Il y a toujours de la raison derrière la confusion, il suffit d’écouter.”
Ce roman de Beate Grimsrud, paru au mois de mai dernier, narre la vie d’une jeune femme prénommée Eli. Eli signifie “mon dieu” en Hébreu. Si ce personnage était à rattacher à une quelconque divinité, il faudrait penser à un dieu protéiforme. Car Eli n’est qu’une des cinq personnalités de la narratrice, l’identité officielle du personnage en quelque sorte. Elle partage son corps avec Espen, Emil, Erik et Eugen… et c’est loin d’être une sinécure !
Vous l’aurez compris, ce roman explore le thème de la folie et plus précisément le quotidien d’une schizophrène.
Depuis toute petite, Eli se sent différente et n’arrive pas à adhérer au réel. Un peu confortée dans son imaginaire par son père, elle doit lutter, de plus en plus, contre les voix qui envahissent son esprit et lui dictent des gestes et lui imposent de faire des actions plus ou moins dangereuses à toute heure du jour et de la nuit… Mais ces voix sont aussi celles qui lui permettent de trouver l’apaisement parfois et surtout de donner libre cours à sa création débordante et fructueuse.
Le roman est bien construit et la traduction sert parfaitement la plongée au coeur de l’identité multiple d’Eli, personnage androgyne qui veut changer de sexe mais qui ne sait pas si elle est actuellement une fille ou un garçon tant les voix masculines sont omniprésentes.
Une grande partie du récit se déroule en hôpital psychiatrique, lors des nombreux internements d’Eli. On y apprend d’ailleurs pas mal de choses sur le déroulement des traitements, sur les relations forcément difficiles entre les patients et le corps médical. La question de la folie et de la création est bien mise en valeur lors du long travail thérapeutique qui se met en place pour tenter de faire taire les voix… au moins temporairement… Mais à quel prix ? Celui des neuroleptiques qui tétanisent les muscles plusieurs jours durant et dont les médecins semblent ne pas vraiment connaître les effets secondaires ?
Bien loin d’être une lecture facile, Une folle en liberté, fait vraiment ressentir l’angoisse et le mal être de la narratrice lorsque les voix résonnent dans son esprit, l’empêchant d’accomplir des tâches pourtant aisées…
Ce sont aussi le combat et le travail du personnel soignant (les infirmiers tout particulièrement), de Jonathan et des entraîneurs sportifs contre la maladie psychique qui sont mis à l’honneur et qui apparaissent comme autant d’entraves aux voix qui n’en finissent pas de parler…
Un beau roman, en somme, parfois difficile, mais particulièrement intéressant ! Je vais cependant laisser de côté les romans sur ce thème pendant un moment pour lire des textes plus légers…
“J’ai regardé ma main droite et j’ai senti très nettement que mes cinq doigts, c’est moi. Espen, Emil, Erik, le prince Eugen et Eli. Espen, c’est le petit doigt, mais je ne sais pas si c’est Erik ou Eli dans l’index. Ca me rend furieuse.”
Beate Grimsrud, Une Folle en liberté, Actes sud, 24 €