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Erri De Luca : Et il a dit

Par Memoiredeurope @echternach

Erri De Luca : Et il a ditVoilà le livre le plus accompli de l’écrivain italien. Une écriture fascinante qui prend appui sur les paroles, telles qu’elles ont été données aux Hébreux par le Décalogue. Chaque mot compte, on peut même dire chaque lettre. De ces mots-là naissent des structures sociales et un rapport futur entre les hommes lorsqu’ils seront livrés à eux-mêmes. Le travail de celui qui écrit est un travail d’écoute. Qui est celui qui parle en moi ? Les mots écrits nous donnent une chance de donner la parole à cet autre.

On disait qu’Eri De Luca s’était penché ces dernières années sur les textes sacrés et sur l’origine du Judaïsme. Cet ancien révolutionnaire ne pouvait se rapprocher jour après jour de livres qui sont les Livres des origines sans chercher en même temps à comprendre comment on vient au monde. Et on peut en effet naître à tout âge. Le jeune homme et la jeune femme naissent dans l’amour et ce miracle peut se reproduire tout au long de la vie entre deux êtres qui s’aiment. L’alpiniste renaît quand il descend du sommet après une épreuve physique ultime. L’Homme a cette chance de pouvoir naître aussi dans l’écriture et dans la relecture des textes anciens.

« La légende dit qu’un ange efface le souvenir de ce qu’un nouveau-né a connu dans le ventre de sa mère. Il faut vider son sac avant de naître. Dans le placenta, les enfants connaissent tout le passé, les langues, les aventures, les dangers et les métiers. Leur squelette est devenu poisson, reptile, oiseau avant de s’arrêter à la dernière station.»

Quand donc en effet se situe le début ? Le début d’une histoire qui vient s’écrire, le début de la conscience. J’allais dire un peu bêtement, le début de la sagesse ?

L’homme est parti dans la montagne. Seul. Ils sont partis à sa recherche. Ses compagnons, sa tribu. Il revient en alpiniste frappé par la foudre. La seule parole qu’il peut prononcer pour son frère est : « Qui suis-je ? » C’est une question universelle, pas celle d’un amnésique. C’est la question de celui qui a besoin de décomposer les mots pour les comprendre parce que les mots doivent se débarrasser de leur usure et renaître, eux aussi. « L’eau était màim, il la buvait, entre les deux m qui ouvraient et fermaient sa bouche, il la retenait entre les deux labiales avant de l’avaler en fouillant dans le répertoire des mots qui commençaient par mem, m. Arrivé à man, manne, il s’arrêta. Cette recherche lui donnait le tournis. »

Il faut entendre les paroles quand le doigt de Dieu viendra les graver. Et ces paroles-là, Erri De Luca les a apprises en voisin, en marge du campement, comme il l’écrit dans les trois merveilleuses dernières pages. Frère d’exil : « Au vingtième siècle, les Juifs et les Méridionaux sont montés sur les mêmes bateaux, ou plutôt descendus dans les soutes de troisième classe sous la ligne de flottaison. Nous du Sud, nous quittions la misère, eux les maisons en flammes des pogromes. Nous nous détachions d’une patrie amère, eux ils allaient d’un exil à l’autre. On allait ensemble, aux quatre coins du vent. » Et encore : « Le judaïsme a été pour moi une piste caravanière de consonnes accompagnées au-dessus et au-dessous de la ligne par un volettement de voyelles. Entre une ligne et l’autre, dans l’espace blanc, c’est le vent qui gouverne.»

Erri De Luca est un créateur de mots. Il parle des phrases comme le ferait un compositeur. C’est aussi un musicien. Il a su trouver l’endroit exact de la fabrique de l’histoire d’un peuple, ligne à ligne. Puis il s’est éloigné car il sait qu’il appartient à un autre peuple. Mais ce parcours lui a permis de choisir avec encore plus de vigilance recueillie des sentiments profondément enfouis sous des mots anciens. Ainsi « De l’amande cachée dans le cerveau suintait des gouttes de bonheur. »


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