Je crois que je dois des excuses aux sportifs dont je me moque régulièrement dans ces colonnes. En fait, si on veut bien s’intéresser un peu à l’économie des sports, on apprend plein de choses, notamment la recette et les ingrédients de la sauce bien peu démocratique à laquelle on pourrait être mangé un de ces quatre.
Prenons un exemple local. Depuis quelques semaines, le FC Metz est indirectement pris dans une affaire qui ne sent pas la rose. Reportez-vous à l’article de Jérôme consacré à l’affaire si ça vous intéresse, sinon sachez en substance que le club du Mans FC a bénéficié d’une étonnante mansuétude de la part de la DNCG (direction nationale du contrôle de gestion) quant à la gestion présumée hasardeuse de son président. Faisons abstraction des enjeux sportifs, comme le maintien du Mans en Ligue 2 ou le repéchage du FC Metz, pour nous intéresser à un point précis. Le club manceau s’est doté d’un nouveau stade, la MMA Arena, bâti dans le cadre d’un partenariat public-privé. En gros, dans le cadre de cette procédure, une institution publique donne délégation à une boîte privée pour construire une infrastructure ou pour assurer un service, et elle la rémunère en lui règlant un loyer exorbitant. Cette pratique existait déjà sous la forme de la régie de service public ou dans d’autres cadres juridiques (DSP, AOT, concessions) à cette différence que la collectivité concernée n’était pas obligée de payer la vaseline, les capotes, et le sourire avant de se faire enfiler.
J’ai déjà eu l’occasion de parler de cette pratique dans le cadre de la gestion de la forêt vosgienne: on a transformé un service public voué à assurer la pérennité de la forêt en activité priée d’être rentable à court terme au mépris de toute logique environnementale et sociale. C’est également dans ce cadre qu’on a confié à Bouygues la construction du « Pentagone français » au mépris des règles d’attribution des marchés publics (à tel point qu’une partie du dossier est classé secret-défense), où que notre splendide EPR de Flamanville stagne à l’état de gruyère rebouché à la hâte. Concernant le stade manceau, l’aléa sportif, à savoir la rétrogadation du club et la baisse de son chiffre d’affaires, fait supporter à la collectivité le poids des pertes de l’entreprise.
Même si Vinci s’est engagé à réduire provisoirement le loyer du stade, il s’agit clairement d’une subvention, ou plus précisément d’une énième manoeuvre visant à privatiser les profits et à mutualiser les pertes des entreprises. Bande d’assistés, va. Petite parenthèse: la FIFA qui chaperonne le football professionnel international, goûte fort peu que l’on s’adresse à la justice civile et administrative pour régler les contentieux, ce qu’est en train de faire le FC Metz. En effet, la FIFA qui fut longtemps dirigée par l’ex-franquiste Samarranch, préfère la justice d’exception du foot tout comme le CIO (comité international olympique) où les soupçons de corruption feraient passer l’affaire Bettencourt pour une aimable dispute sur l’argent de poche d’un adolescent avec ses vieux. Et après ça vient couiner aux valeurs du sport, au fair-play, et à l’exemplarité due à la jeunesse.
Justement, les Jeux Olympiques de Londres viennent de commencer. Et depuis longtemps, les Jeux Olympiques sont le laboratoire de toutes les cochonneries qu’on essaiera de faire passer un jour ou l’autre pour restreindre les libertés publiques. La Grèce doit d’ailleurs une bonne partie de son déficit abyssal aux Jeux Olympiques de 2004. Et en préparation des Jeux, Londres et le gouvernement britannique ont pris une série de mesures d’exception que Berlusconi et Sarkozy auraient à peine osé imaginer dans leur rêves les plus fous. Par exemple, un dispositif policier digne d’une base militaire ultra-secrète a été mis en place pour se prémunir des menaces terroristes mais aussi, et c’est moins avouable, pour ficher tout ce qui bouge en toute légalité le temps des Olympiades. Le Royaume-Uni a également prouvé tout le cas qu’il faisait du droit du travail et de la dignité humaine en bâtissant un campement inspiré des meilleurs bidonvilles en marge du village olympique pour héberger dix mille femmes de ménages.
Enfin, le CIO, avec la complicité du gouvernement britannique, a fait main basse sur toutes les formes de propriété intellectuelle, par le biais de l’Olympic Games Act, l’exact contraire de l’Habeas Corpus. Il est par exemple interdit d’associer le nom de Coca-Cola aux Jeux Olympiques, car c’est Pepsi le sponsor officiel des Jeux (ou l’inverse, enfin un des liquides noirâtres qu’on met dans les whiskys bas de gamme). Il est ainsi interdit de détourner les symboles du CIO, d’utiliser les termes « jeux », « olympiques », « or », « argent », et tout le champ lexical associé si l’on a pas acheté les droits de diffusion. Les usagers des réseaux sociaux sont également victimes de cette censure, et même Barack Obama est obligé de surveiller son vocabulaire. (allez voir ici si vous voulez le détail en version originale). Big Brother en a rêvé, le CIO et Cameron l’ont fait. Un athlète a même mis son épaule aux enchères pour se faire tatouer au sponsor le plus offrant, comme une vulgaire tête de bétail aux hormones qu’il est.
En bref, même si l’on peut penser à Jesse Owens qui met la honte à Hitler aux jeux de 36, aux gants noirs de Tommie Smith et de John Carlos en 68 et aux trop rares exceptions parmi les sportifs qui refusent d’être complices de la mascarade, on peut aussi penser que l’exercice la démocratie, sous l’égide des multinationales qui dictent leur quatre volontés aux Etats, commence à ressembler à la devise de Coubertin: l’important n’est pas d’y gagner, mais d’y participer.
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