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En réponse à un fan

Publié le 31 juillet 2012 par Bertrand Gillet

Who are the Who ?

Cher Christophe,

En réponse à un fan
Je dois l’avouer, ta doléance a quelque peu bousculé le calme ordonnancement de mon existence. Sous le vernis légitime de la circonspection, les réseaux sociaux abritant leur lot toujours grossissant de psychopathes habillement maquillés en bienfaiteurs de l’humanité, ton enthousiasme de fan m’a tout d’abord ému. Oui. J’ai été touché par la maladresse toute sympathique de ta demande. Les mots « J’attends ma Chronique. Je bous. J’enrage » me firent immédiatement songer au jeune adolescent qui, dans le réduit moite de sa chambre, attend l’instant magique où il connaîtra pour la première fois la femme, où en perdant sa gourme il quittera, tel le serpent en pleine mue, sa peau d’enfant pour entrer dans ses nouveaux habits d’homme. Et de sourire face à l’étonnant spectacle de la vie. Ne sois pas offusqué par la franche tonalité de ma réponse, tu ne peux pas réellement comprendre, mais plusieurs motifs m’amènent à t’éconduire, dixit l’habile métaphore pubère citée plus haut. Non, je ne ferai pas la chronique détaillée, pointue, drôle et juste du premier opus des Who, My Generation, enregistré entre avril et octobre 1965 et sorti le trois décembre de la même année. Tu sais mon cher Christophe, la raison est simple et je vais m’en expliquer. Premièrement, je ne peux céder aux innombrables requêtes qui transpirent entre les lignes de mon courrier des lecteurs ; quand bien même aurais-je le temps matériel, la chose m’est tout bonnement impossible. Mais il existe une justification plus louable à mes yeux ; et aux tiens ? Vois-tu mon jeune ami, il y a de cela quelques années que je remplis la mission quasi christique de rock critic. Pour parler le langage propre à ta condition professionnelle, je suis ce que l’on appelle un « influenceur ». Les gens suivent en masse mon Travail, guettant avec une impatience à peine feinte les brûlots littéraires et pop qui naissent sous ma plume. Ma Parole compte, je suis écouté. Et aimé au fond. Oui aimé. Et c’est là que tu débarques, pardon, que tu entres en scène. Sois rassuré, ta démarche m’offre cependant l’occasion de rendre publique la puissante réflexion que je mène depuis longtemps. Je suis à l’image du grand vin gagnant en profondeur avec le temps. La nature, généreuse à mon égard, a choisi de me porter jusqu’à la pleine maturité. Celle-ci ne se détermine pas simplement en années. Elle tient compte de l’expérience, des connaissances accumulées, et ouvre de nouvelles voies ; des perspectives. Je ne peux plus considérer mon office au prisme unique de la Chronique. Je comprends qu’elle demeure pour le lecteur un point d’ancrage, un aiguillon. Mais il me faut aborder la critique rock sous un spectre plus large. En ajoutant aussi ce qu’il faut de poésie pour réaliser le vœu d’une vie dédiée aux belles lettres. Au fond, le rock n’est-il le matériau idéal pour façonner le Grand Roman auquel je rêve depuis toujours ? Je sais, cette analyse t’échappe toi qui n’a pas encore dépassé le stade du descriptif produit condensé en cent quatre-vingts dix signes sur Amazon.
En réponse à un fan
Pourtant, je saisis l’intérêt que tu portes aux Who, toi dont le cerveau fut longtemps corrompu par l’écoute un peu trop indulgente des U2, Coldplay, Red Hot Chili Peppers, Michael Jackson et autres caricatures pop. Ainsi, je me propose de retenir l’exemple des Who afin d’illustrer mon propos. Que dire des Who ? De leur première contribution à la révolution rock qui ouvrit le grand bal des sixties ? Savais-tu que le mythique bégaiement de My Generation fut malicieusement soufflé à l’oreille de Roger Daltrey par leur manager de l’époque, Shel Talmy ? À l’évidence non. Même la plus petite anecdote ne semble pas entrer dans le champ modeste de ton savoir. Allons plus loin dans l’analyse. Comme beaucoup de jeunes formations de l’époque, les premiers pas discographiques des Who sont encore marqués par ces reprises puisées dans le répertoire rhythm’n’blues. Mais le désir de songwriting de Pete Townshend est plus fort que tout. Certes, James Brown et Bo Diddley fournissent les classiques propices à l’étincelle, mais c’est avec My Generation donc, The Kids Are Alright et, dans une moindre mesure, Much Too Much que le brasier est définitivement allumé. Car de tous ses contemporains, je veux citer dans le désordre Led Zep, Pink Floyd ou les Stones, le quatuor de Chiswick demeure le plus singulier. Une vérité s’impose : les Who étaient déjà les Who. Je veux dire par là que leur art s’est forgé dans leurs premières années, pour être plus précis dès le deuxième album paru le trois décembre 1966. Ils n’ont pas connu plusieurs périodes, plusieurs incarnations à l’inverse de Bowie.
En réponse à un fan
A Quick One pose les bases d’un style qui perdurera au moins jusqu’à Who’s Next, abstraction faite de l’évolution des techniques de production et d’enregistrement. Si l’on retire à Don’t Get Fool Again son VCS 3, entre temps adopté par le Floyd, le morceau possède cette même fraîcheur gravée quatre ans auparavant dans les sillons de The Who Sell Out. La dimension opératique de leur musique était bel et bien présente dans Armenia City In The Sky, I Can See For Miles ou Tatoo. Deux explications à cela : 1/Contrairement à d’autres, les Who ont finalement peu produit. Entre 65 et 73, seulement sept albums avec Live at Leeds ! Pendant cette courte période, leur meilleure, ils disposèrent du temps nécessaire pour peaufiner concepts et compositions (principe clé décliné sur la quasi-totalité de leurs Lp), pour investir le Studio, lieu symbolique de la Création Rock, et se concentrer sur les arrangements. 2/Faisant fi de toutes les modes, les Who ont su rester rock, bien que Townshend et Entwistle aient fait preuve d’une ambition musicale constante ; en témoigne le hautbois qui se promène d’une chanson à l’autre sur Tommy. Avec Quadrophenia publié en 1973, la boucle est bouclée. La formation retrouve l’esprit mod originel, comme un hommage à cette jeunesse envolée que les seventies glacées à la coke et au fric disperseront de façon définitive. Voilà ce que je pouvais dire, écrire sur les Who. Je ne sais même pas (plus) si ces quelques mots improvisés constituent le bout d’un début de réponse. Bah, au fond, je ne t’en veux pas. Il faut bien que jeunesse se passe. Aussi je te laisse à la banalité de ton quotidien et m’en retourne à mes Saintes Œuvres.

Adieu,

Moi.

http://www.deezer.com/fr/music/playlist/100783111



31-07-2012 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 304 fois | Public
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