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L’autre face de l’écran

Publié le 17 décembre 2009 par Gregory71

Nous faisions comme si nos images n’avaient pas changés. Nous gardions les privilèges de nos habitudes anciennes comme si les écrans n’existaient pas. Pourtant ceux-ci, devenus principaux supports visuels, avaient bouleversés la production comme la diffusion, la perception visuelle.

Une part de l’académisme en art provient sans doute de cette incompréhension qui conserve des modèles simplement adaptés au monde de l’art.

Il y avait deux faces avec l’écran: l’une, scintillement des pixels, sur laquelle se fixait tout notre attention. L’autre, obscurité du dos, que nous présentions aux autres. Peut-être est-ce cette face qui est la plus déterminante bien qu’inapparente. Peut-être est-ce justement ce verso de l’image qui fait que structurellement, par le hasard même d’une matière, nous oublions l’image dans sa dimension écranique. Quelque chose dans l’écran s’oublie et c’est ce retournement même, ce pile et cette face de l’image. Car ce qui se montre ainsi par ce verso qu’est-ce donc si ce n’est le caractère privé de l’image ainsi qu’un certain partage du sensible?

Je fais face a une image et dans son dos (de l’image), un peu au-dela (de mon regard), un pas de plus que je ne peux franchir sans fracasser la surface dure de l’écran, il y a l’autre face de l’écran qui prive ceux qui pourraient me regarder dans les yeux de ce que je vois. Division entre le voyant et le visible, entre ce que je vois et ce qui me fait voir. L’image est privée parce qu’elle regarde celui qui lui fait face et elle fait dos aux autres, sauf si je partage la même direction. Voici donc le secret de l’écran, sa partition entre ce qui s’offre et ce qui se retire. Derrière l’écran de cinéma il n’y a rien qu’un mur. Derrière la télévision, le plus souvent, encore un mur. Mais derrière l’écran de l’ordinateur il y a tout un espace, il y a d’autres personnes, des gens que je prive de l’image.

Cette orientation de l’écran mobile pourra se rejouer encore dans les interfaces a venirs lorsque les écrans se libéreront de la surface plane pour se diffuser dans l’espace. On imagine: une image virevoltant dans une pièce, un hologramme animé flottant dans le vide, manipulable dans toutes ses dimensions. Y perdrait-on ce partage du visible et de l’invisible? Les autres verraient-ils donc ce que je fais? Représentez-vous la complexité du dispositif écranique dans sa dimension interindivuelle: les gens me faisant face, je les prive de l’image, le face a face est une obstruction, la réciprocité une césure. Sans doute faut-il penser que dans ces futurs écrans quelque chose de cette privation, essentielle a la maniabilité informatique, sera sauvegardée, par exemple faisant que ces images détachées de leur support ne puissent être vues que d’un angle (sans doute variable), celui du regardeur-interacteur, les autres personnes dans la pièce ne voyant rien ou voyant flou. Ce serait un autre partage de l’image.

Nous comprenons par la que partager une image, partager donc du sensible, n’est pas essentiellement fonction d’une cohérence, d’un partage identitaire, formule selon laquelle nous partagerions la même chose. Ce serait penser que le sensible est sans médiation. Partager le sensible c’est partager ce qui se partage (donc se divise): le partage du sensible et de l’insensible qui défini le seuil même de la sensibilité. Et c’est en cela que les écrans passés, présents et futurs sont profondément imbriqués a notre propre structure sensorielle et lui font comme écho.


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