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Ce qui reste

Publié le 14 juin 2008 par Gregory71

Il y a bien sûr les séparations dans lesquelles quelque chose a été dit ou fait, dans lesquelles on en veut à l’autre, on lui reproche un comportement, une injustice, que sais-je encore. On rompt le contact parce qu’on ne peut pas, on ne veut pas devenir amis.

Il y a aussi d’autres séparations où on s’arrête parce qu’on sait que cela cessera à un moment ou à un autre, à cause d’incompatibilités, de désaccords, de lignes de fuite non partagées. C’est un moindre mal, c’est une moindre souffrance par rapport à une souffrance, à un mal plus grands et à venir qui pourraient fort bien entraîner d’autres projets, une famille, des enfants. On sait que la responsabilité sera alors différente.

On se fait donc une raison d’un commun accord. On peut bien s’aimer encore mais épuisés d’avoir essayé, craignant de demander à l’autre ce qu’il ne peut nous donner sans perdre son intégrité, on préfère cesser là. C’est encore un signe d’amour que de le laisser et de se laisser partir dans d’autres directions.

Le mécanisme de la séparation entraînent beaucoup à cesser aussi la relation humaine, à couper les ponts comme on dit. C’est une protection quelque peu magique de conjuration. Il y a bien sûr là un différend, un tort au sens juridique, car pourquoi lier ainsi la relation amoureuse à la relation humaine, pourquoi ainsi sortir de la vie? Que croit-on au juste faire, effacer l’autre? C’est une question que je me suis souvent posé. Sans doute est-elle très personnelle, car elle relève de ce qui nous lie et nous sépare des autres depuis l’origine en trouvant dans l’amour une voie d’expression singulière.

Il y a cet mécanisme précis qui fait que des concessions qui semblaient minimes dans une relation amoureuse afin de rendre compatible deux existences, apparaissent insupportables a posteriori dans la séparation. Cette transformation permet d’effectuer de façon radicale la rupture parce que la relation est reconstruite, l’acceptable est inacceptable. C’est un jeu du temps et de la mémoire qui se fait peut être au détriment d’une autre mémoire, celle qui persiste dans le présent et qui respecte la singularité du sentiment amoureux.

Je m’arrête sur ce moment, non par étalage indiscret, mais parce que sans doute une partie de la vérité de l’amour est dans la séparation. Il est si difficile de rester juste, de se maintenir à cet endroit. La séparation est considérée comme un mauvais moment à passer alors même qu’elle est fondatrice de notre relation à l’autre et sans doute est-ce à cet endroit précis qu’il y a quelque chose qu’on peut nommer éthique. Qu’est-ce qui reste de l’amour justement quand il n’y en a plus? Cette question pourrait sembler mal formulée mais elle exprime finalement ce lien infime que nous avons les uns par rapport aux autres. Qu’est-ce qui reste quand on a plus d’intérêt ou d’enjeux? Je me fais peu d’illusion sur ce lien. sa configuration change tout le temps selon les intérêts. On aime par intérêt comme on se sépare par intérêt. Mais elle continue à m’interroger, physiquement, le long de ma peau.

Je me réveille le matin. Toujours cette lueur un peu ombrée de la fenêtre. Il y a eu la peau de Noémie, Isabelle, Karine, Karen, Sophie, Catherine, Rachel, Stéphanie, Nathalie, Mireille. Ce sont des noms dont je me souviens, d’autres encore, des singularités. Je garde quelque chose de chacune d’entre elles, quelque chose dont elles n’ont pas idée, une sensibilité, une émotion qui n’est en rien nostalgique. Je me souviens de leurs visages encore endormis, des yeux tentant de s’ouvrir, de la douceur de la nuque et des tempes, je me souviens de ce corps s’abandonnant à la confiance toute simple de cette lueur, de ce repos apaisé. Je ne veux pas oublier cela. Je ne veux pas de cette lâcheté. Puis-je rester sensible à ces émotions-là?


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